Les Editions Amici Librorum nous offre une magnifique réédition en couleur du livre A Rebours de J.-K. Huysmans, de son vrai nom Charles-Marie-Georges Huysmans (1848-1907). Ce roman est considéré par certains spécialistes de littérature comme un chef d’œuvre, d’autres le perçoivent comme un joyau incongru. Dans tous les cas, c’est un texte fascinant autant par son sujet que par son auteur, personnalité riche, complexe, ambiguë de bien des manières.
C’est en 1884 que l’ouvrage paraît, bien avant la conversion au catholicisme de Huysmans. Il dira plus tard, peut-être en réécrivant sa propre histoire, que A Rebours marque le début de son processus de christianisation. Cependant, son rapprochement avec l’abbé Boullan, daté du début des années 1890, est postérieur à la publication du livre et au conflit occulte et parfois bien tangible, il fut question de duels, qui opposa Stanislas de Guaita, Papus et leurs amis à l’abbé Boullan et son défenseur, Huysmans.
A l’époque de la publication d’A Rebours, J.K. Huysmans est un proche d’Emile Zola et du mouvement naturaliste. Huysmans, Maupassant et quelques autres avaient pris l’habitude de se retrouver chez Zola à Médan. Les échanges portent sur l’art et la littérature et conduisent naturellement les membres du « groupe de Médan » à écrire. Un recueil de nouvelles sera publié en 1880 sous le titre Les Soirées de Médan.
A Rebours est un roman sans être un roman dans le sens où il n’est pas organisé autour d’une intrigue, d’un jeu de personnages ou d’évènements plus ou moins marquants. L’ouvrage est structuré autour d’un unique personnage, Jean des Esseintes, un esthète, excentrique, qui se cherche sans jamais se trouver. Après avoir épuisé tout ce que la mondanité peut offrir, il se retire dans un pavillon de Fontenay-aux-Roses, et plus particulièrement dans sa bibliothèque. Outre la littérature, il s’intéresse à la peinture, aux parfums et autres éléments de composition d’un raffinement décadent. Ce séjour ne lui permet pas de découvrir en lui les ressources que sans doute il recherchait. Jean des Esseintes demeure sur un versant dépressif auto-alimenté qui le conduit à revenir à Paris avec sa précieuse bibliothèque. C’est là qu’il dresse, à travers les livres, une sorte de catalogue de ce qui l’attire, le repousse, le construit, le déconstruit. C’est ici que se trouve le cœur de l’ouvrage de Huysmans.
Considéré comme un manifeste de l’esprit décadent, A Rebours n’obéit pas aux règles du naturalisme et veut ouvrir, avec difficulté mais avec éclat, de nouvelles voies dans la littérature, notamment par le symbole. Il traduit les difficultés, les doutes, les désespoirs de cette fin de siècle et une incapacité paradoxale à la co-créativité, incapacité qui pourtant donne le pressentiment d’un chemin caché.
En 1902, Huysmans est contacté par la Société des Cent Bibliophiles qui souhaite rééditer A Rebours. Huysmans accepte à condition que l’ouvrage bénéficie d’une préface qu’il rédige à l’occasion. Cette nouvelle édition paraît en 1903. C’est celle que reproduit aujourd’hui avec bonheur les Editions Amici Librorum. La « Préface écrite vingt ans après le roman » est davantage qu’un simple commentaire ou une introduction rétrospective. Elle révèle le texte d’A Rebours à travers deux mouvements, le premier « au point de vue de la littérature et de l’art », le second « au point de vue de la Grâce ». Pour Huysmans, c’est ce mouvement de la Grâce qui éclaire, parfois dit-il de façon incompréhensible, aussi bien A Rebours que sa vie même jusqu’au catholicisme affirmé. Il voit dans A Rebours, la matrice de tous les romans qu’il écrira par la suite, de son « œuvre catholique ». Cependant, cette préface rédigée vingt ans après donne un orient à un texte qui n’en avait pas, qui conduisait simplement et sûrement, avec élégance, à l’abîme. Il est sans doute préférable de ne lire la préface qu’après s’être plongé dans le désastre somptueux mis en scène par Jean des Esseintes.
Avec A Rebours, nous avons dans les mains un joyau de littérature et d’art, et un témoignage exceptionnel du cheminement intérieur, spirituel d’un homme traversé par son siècle. Le roman singulier exerça une influence certaine sur la jeunesse artistique et littéraire lors de sa parution et marqua de nombreux auteurs ou artistes d’Oscar Wilde, pour Le Portrait de Dorian Gray, à Michel Houellebecq de nos jours, en passant par Serge Gainsbourg.
Source: La Lettre du Crocodile