La publication d'un livre inédit de René Guénon l'année du cinquantenaire de la disparition du célèbre métaphysicien est sans doute un événement. Même si l'éditeur prend les précautions qu'imposent à la fois le professionnalisme et la rigueur scientifique, très probablement, ce livre doit être attribué à René Guénon.
Mais avant d'en venir à Guénon et à ce livre étonnant, nous voudrions citer Alessandro Grossato qui rappelle dans son introduction, avec justesse, et contre un Umberto Eco indigne, les particularismes du monde de la Tradition, à même de maintenir caché des doctrines entières, ou les aspects essentiels de celles-ci, les préservant ainsi tant de l'instituteur, fusse-t-il universitaire, que du curé :"Ce n'est d'ailleurs pas l'unique cas incroyable, ni même le plus persistant, de survivance cachée - aux marges de l'histoire communément connue - culturellement significatives, lesquelles des siècles durant réussissent à maintenir en leur sein un reflet de ces rares expériences intellectuelles et spirituelles originairement liées à des figures extraordinaires. En réalité, le phénomène de la survivance en des groupes extrêmement fermés, ou parfois même dans de seuls noyaux familiaux, de croyances et doctrines particulières, est beaucoup plus vaste et, dirions-nous, même plus généralisé que ce qu'on pourrait croire, si nous considérons en particulier tant la survivance secrète de formes hérétiques persécutées [...] que la conservation de la foi des pères après les conversions imposées par l'autorité politique ou religieuse, ou en tout cas dictées par diverses formes d'opportunismes [...]. C'est certainement l'un des aspects les plus gravement méconnus d'une histoire hermétique d'ensemble et vaste [...]."
C'est par quelques-uns de ces groupes fermés, ceux-ci se réclamant de René Guénon, que ce texte, lentement, arriva jusqu'à nous pour être mis au jour par Alessandro Grossato. Nous ne présenterons pas ici tous les arguments avancés avec pertinence par Alessandro Grossato qui le conduisirent à attribuer la paternité du texte à René Guénon. Les arguments sont nombreux, solides. Le texte est sans doute guénonien. Intéressons-nous à lui.
De quoi s'agit-il au juste ? D'un cours complet de psychologie, rédigé entre 1917 et 1918, considérée d'un point de vue philosophique et non pas métaphysique, pour répondre à l'offensive psychanalytique, seconde phase de l'action anti-traditionnelle caractéristique du monde moderne, dont la première phase était le matérialisme outrancier, et qui aura conduit, entre autres effets néfastes, à la séparation radicale puis à l'opposition entre sciences sacrées traditionnelles et sciences profanes, "celles-ci constituant souvent le résidu matérialiste de celles-là".
René Guénon, par ce cours volontairement didactique, rectifie et clarifie là où règne la confusion née de la séparation des sciences de tout principe supérieur. En psychologie aussi, en psychologie surtout. Il opère donc plusieurs distinctions fondamentales, entre psychique et psychologique, entre conscient, subconscient, superconscient et cet inconscient, à la base de toute la psychanalyse, qu'il s'emploie à détruire. Il en vient tout naturellement à l'Art de la mémoire et à l'imagination créatrice, piliers de la Tradition hermétique et de toute magie véritable, pensons à Giordano Bruno. Est-ce un hasard si les trois derniers chapitres de ce livre sont consacrés dans l'ordre, au beau et à l'art, à la volonté, et enfin à la liberté, indiquant ainsi les puissances essentielles, à la fois initiatrices et finales, de la Voie ?
Si les propos de René Guénon restent dans le cadre de son choix philosophique, le lecteur attentif reconnaîtra nombre d'indications qui révèlent le métaphysicien et l'homme de Tradition. Extrait :
"Quant à une prétendue opposition entre notre liberté et la bonté de Dieu, elle ne relève que de l'ordre moral et sentimental et elle n'a métaphysiquement aucun sens. Toutes ces difficultés ne sont en somme que le résultat d'une confusion entre le point de vue métaphysique et le point de vue théologique, confusion dont il y a d'ailleurs d'autres exemples, et plus généralement, toutes les difficultés relatives à la liberté viennent, comme pour beaucoup d'autres questions, uniquement à ce que ces questions sont mal posées.
Métaphysiquement, la question est des plus simples. Il faut partir de l'idée de l'Être, auquel appartiennent les attributs d'unité et de simplicité ; comme disaient les scolastiques : Esse et unum convertuntur, là où il y a unité et simplicité, il y a nécessairement absence de toute contrainte, car une contrainte ne peut provenir que de la présence d'une multiplicité dont les éléments agissent les uns sur les autres. Or, l'absence de contrainte est précisément ce par quoi se définit la liberté.
Si maintenant nous considérons les êtres, ils sont des participations de l'Être, c'est-à-dire que chacun d'eux possède dans une certaine mesure et d'une façon relative les attributs qui appartiennent absolument à l'Être."