Le sous titre, Jésus, Marie-Madeleine, l’Incarnation indique nettement que la question posée à travers la relation amoureuse, charnelle ou non, entre Marie-Madeleine et Jésus, est bien celle de l’incarnation, de la chair, de la manière dont la chair enseigne l’esprit, dont l’esprit enseigne la chair.
Des métamorphoses de la libido à la sexualité même du Christ, Jean-Yves Leloup à la fois élargit le champ de la réflexion et dépasse la simple question des rapports sexuels :
« Malgré des traditions vénérables et le contexte historique, rien ne me permet d’affirmer que Jésus ait exercé la plénitude de sa sexualité (celle-ci n’étant évidemment pas réduite à la génitalité) avec Marie-Madeleine ou avec toute autre femme.
Dans le respect de la plus stricte orthodoxie et du dogme de l’Incarnation rien ne me permet non plus de le nier…
La sexualité étant créée par Dieu et demeurant liée à la transmission même de la vie n’est pas mauvaise et l’usage « sans péché » (c’est-à-dire sans convoitise, sans objectivation, réduction ou consommation de l’autre)qu’a pu en faire le Christ atteste sa rédemption et sa divinisation possible (participation à l’Agape créateur). »
On voit que Jean-Yves Leloup, dans ce texte destiné à un large public, même s’il ne peut totalement se dégager, tout en le mettant loin à distance, du carcan chrétien de préjugés face à la sexualité et à la question du plaisir, indique, avec courage et pertinence, quelques voies intéressantes.
Il distingue tout d’abord « différents « degrés » d’amour qu’il ne faut ni confondre ni séparer : on peut parler alors d’une échelle des métamorphoses de la libido. Tout commence par la pornéia, l’amour du bébé, qui « dévore » le sein de sa mère. Puis l’amour nourriture s’allège en amour érotique, qui donne des ailes à la gourmandise infantile, lui évitant de s’alourdir en voracité, mais éros, malgré ses ailes, vit encore dans le manque. Alors vient l’amour philanthropique, philia, qui est plein, apaisé, et relie les vrais amis dans un partage égal. Mais cela ne s’arrête pas là : philia elle-même quitte le plan de la simple amitié pour s’élever encore plus haut, là où règne l’amour inconditionnel, l’agape… »
Consommation – communication – communion, voici un chemin lisible à travers la relation complexe de Marie-Madeleine avec Jésus. Jean-Yves Leloup s’intéresse à « l’étreinte sacrée selon Philippe » :
« Dans La Lettre sur la Sainteté, la relation sexuelle est traitée, non d’un point de vue médical ou moral entraînant des discours justificatifs ou répressifs, mais comme un secret qui l’apparente au monde divin et lui confère le statut d’un acte théophanique, exactement comme dans l’Evangile de Philippe. »
Jean-Yves Leloup fait référence à ce secret qui commence par l’union des souffles dans le baiser pour culminer dans une théophanie à conquérir dans la chambre nuptiale conçue comme Saint des saints, en ce sens que c’est l’orient de la conscience qui détermine le caractère sacré de l’union. Et de conclure en citant Matthew Fow :
« La religion a oublié d’enseigner à ses fidèles l’art de faire l’amour. Elle a failli à son devoir en négligeant la discipline spirituelle de la jouissance physique. Elle n’a pas voulu établir le lien entre la théophanie de la sexualité, qu’elle a laissée tomber dans l’oubli, avec les autres théophanies décrites dans les Ecritures (dont le Cantique des cantiques fait partie). »
Tout en mettant en garde contre les dérives d’un tantrisme superficiel et mal compris, Jean-Yves Leloup suggère que l’étreinte sexuelle peut être une célébration de l’étreinte divine, une fête de l’Être, que l’extase en chair peut conduire à l’extase en esprit ou encore que l’une peut faire danser l’autre.