C’est un excellent livre. Après avoir mis en évidence les maux dont souffrent la Franc-maçonnerie dans son ouvrage Le Grand Orient. Les Lumières sont éteintes, publié chez Guy Trédaniel, Michel Maffesoli nous donne avec cet ouvrage les antidotes à la décomposition du processus initiatique maçonnique. Pour ce faire, il revient à la mission première de l’Ordre maçonnique, le réenchantement du monde, en puisant dans ce que la Franc-maçonnerie à de plus traditionnel.
« La Franc-maçonnerie à venir est justement, dit-il, celle qui est enracinée dans la tradition et qui, de ce fait, se reconnaît comme une communauté pneumatique où l’esprit prédomine. L’atelier maçonnique « produit » (c’est un atelier) un égrégore, force de cohésion unissant les frères réunis en loge. C’est le propre même du chemin initiatique (…) Ce chemin, on n’insistera jamais assez là-dessus, est le fait de penseurs libres, voire de « libres esprits », c’est-à-dire de ceux qui, hors des sentiers battus, savent mettre en œuvre une pensée libertaire. »
Toute initiation est libertaire par essence et par vocation. Ce « fil rouge » est aussi un critère d’évaluation. L’initiation libère en nous rapprochant de notre véritable nature. Si ce n’est pas le cas, c’est qu’il y a contresens.
Michel Maffesoli observe l’alternance entre décadence et renaissance, la décadence des institutions maçonniques qui tournent le dos à l’essence de la démarche initiatique et la renaissance possible par un retour à l’initiation, retour qui est aussi renouvellement et réenchantement car « il convient de se souvenir que l’essentiel, pour comprendre ce qui est en train de cesser et ce qui est en train de naître, est ce que Jacques Maritain nommait judicieusement « la primauté du spirituel ». Quand tombe en décadence une manière d’être matérialiste, il y a toujours une renaissance dans laquelle s’exprime la primauté de l’esprit. De l’esprit incarné. »
Il insiste sur l’incarnation qui unit corps et esprit. Le corps met en œuvre, par l’action dans le monde, « la puissance du spirituel ». Identifiant les maladies de la modernité et les demi-tons qui polluent le monde de l’initiation, il propose de construire, ou manifester une « théarchie » basée sur les hiérarchies spirituelles, qui n’ont rien à voir avec les hiérarchies inventées par les institutions, pour générer des ouvertures spirituelles, des espaces d’expression des excellences de chacun.
Régulièrement, et à raison, Michel Maffesoli revient sur la liberté de penser et de se penser en se nourrissant de l’autre, d’être à être. « L’enchantement promu par les esprits libres consiste, souligne-t-il, à rappeler l’importance de ce qui peut paraître une rengaine : in illo tempore ! Mais c’est en ce temps là que s’enracine la sagesse populaire. »
La « conjonction du corps et de l’esprit » est inscrite dans les rites et présente de multiples facettes. Elle traverse les temps et les cultures. Elle demeure, malgré tout.
« Cela se fait grâce à une spiritalis unctio, cette onction spirituelle issue du partage des mythes, interprétant la dimension sacrée de tout être-ensemble. Ainsi, les divers rites propres à l’initiation maçonnique s’emploient, à partir du visible, à décrire l’ambiance de l’accord invisible, du climat permettant qu’une communauté, en l’occurrence la loge maçonnique, soit ce qu’elle est. »
Michel Maffesoli nous propose de saisir une « épiphanie de l’immatériel », de rechercher « la vérité cachée d’un phénomène » plutôt qu’une vérité historique qui ne sera toujours qu’une narration conditionnée. Il s’agit d’une sagesse, de ce qui fonde l’initiation, maçonnique ou non. C’est aussi une méthode et un chemin.
Ce livre, fort riche et plein de nuances, est un rappel à l’ordre et à l’Ordre, au réordonnancement fondamental qui réenchante le monde, venu de l’esprit et manifesté dans et par le corps.
Source: La lettre du crocodile