Pierre Turlur s’est installé il y a longtemps au Japon pour enseigner la littérature, la philosophie et la langue française. Pratiquant le zen, il est devenu moine en 1983.
Son livre est construit autour d’un recueil d’aphorismes, poèmes, pensées brèves de la tradition zen, issus du taoïsme, du bouddhisme chan ou du confucianisme qu’il présente en quatre grandes parties : vivre, abandonner, voir, réaliser, qui orientent vers la pratique : « s’étudier soi-même (pratique juste), s’oublier soi-même (attitude juste), être illuminé par les dix mille dharmas (compréhension juste), se libérer du corps et de l’esprit (réalisation juste) ». Nombre de ces aphorismes sont issus d’Aphorismes de la forêt du zen, « une anthologie en idéogrammes chinois que nous devons au pinceau alerte et consciencieux de Tōyō Eichō du Myōshinji de Kyōto, qui compila au XVème siècle toute une littérature empruntée à des traditions les plus diverses. »
Pierre Turlur ne commente pas directement les textes choisis qui se suffisent à eux-mêmes, il les inscrit dans son propos qu’ils viennent annoncer, ponctuer, illustrer ou rehausser afin de dessiner un chemin.
« Une citation fulgurante de Mumon Rōshi :
« En marchant
J’atteins l’endroit où naissent les rivières Assis
Je contemple l’instant où naissent les nuages. »
Toute la question est de s’abandonner à la source ou d’y revenir. Ne pas se perdre dans les méandres ni à la périphérie des choses. Ne pas s’arrêter dans l’orbe ou l’amble de ce qui apparaît. Plutôt que de s’égarer dans le miroir qui grise les reines pourries et les spectres qui hantent les réseaux sociaux et les marécages numériques, aller avec ce qui va et vient ; ne plus tergiverser, peser, mesurer, évaluer. S’abandonner enfin à l’enchantement véritable. »
Tout concourt à vivre la réalité ici et maintenant, c’est une question d’attention et de rapport avec ce qui s’offre à nous.
« Le Soi-même y est vérifié par le Soi-même. Le Soi-même est actif en toutes choses dans la totalité dynamique. Se croire séparé et agir de la sorte est essentiellement source de l’illusion même. Penser ou croire que nous sommes séparés, exclus du terrain originel, de notre source, chassés de notre condition première, voilà la cause de la souffrance. (…)
Nous sommes ce que nous recherchons, nous rappelle le maître Menzan. Jijuyu zanmai est précisément l’abandon de toute recherche, de toute quête, et l’actualisation dans le corps-esprit de la voie des Bouddhas. C’est le fait de lâcher l’objet et le sujet, celui ou celle qui perçoit et ce qui est perçu. »
Pierre Turlur met en évidence la très grande subtilité de la voie et la persistance de son mystère.
« Quand un être humain pratique et fait l’expérience de la vérité du Bouddha dans cet état, obtenir un existant est pénétrer un seul existant, rencontrer une action est accomplir une seule action. Dans cet état le lieu existe et le chemin est maîtrisé, et donc ce qu’il faut connaître n’est pas visible. La raison est que ce savoir et la réalisation de l’état de Bouddha apparaissent et sont expérimentés conjointement. N’en déduisez pas que ce qui sera réalisé sera atteint et reconnu par l’intellect. L’expérience de l’état ultime est immédiatement réalisée. En même temps, sa réalité mystérieuse n’est pas nécessairement manifeste. Pourquoi en serions-nous toujours conscients ? »
C’est un très beau livre, profond et au plus proche de la pratique derrière l’érudition certaine, qui concerne les pratiquants au-delà du zen ou du chan.
Une fleur s’ouvre, partout le printemps
Source: La Lettre du Crocodile