Gros travail d’anthropologie historique qui met en comparaison différents contextes culturels pouvant répondre aux critères qualifiant la notion de « renaissance », telle qu’elle s’est construite dans la civilisation européenne pour décrire la Renaissance italienne.
Le sujet est intéressant en ce qu’il permet une critique de la notion même de renaissance à partir du cas de la Renaissance européenne, et surtout de relier celle-ci à tout un réseau d’échanges économiques et culturels qui l’ont rendue possible, en créant une rupture avec ce que l’auteur qualifie d’hégémonie religieuse catholique dans tous les domaines de la connaissance. On devine qu’il règle là quelques comptes personnels, mais il reste indéniable que l’Eglise avait alors la mainmise sur toutes les activités intellectuelles et leur diffusion, et que cela a pesé durant quelques siècles sur le développement européen. Un regain d’intérêt pour une culture surtout scientifique et philosophique, mais aussi artistique, architecturale, médicale, etc., inspirée du passé marque en effet ces rebonds civilisationnels, d’où le terme de « renaissance ».
Les efforts pour déterminer s’il s’est produit des périodes de renaissance dans d’autres régions et d’autres cultures est intéressante, mais s’avèrent assez laborieux, parfois même confus et répétitifs, car le style de l’auteur n’est pas des plus pragmatiques. On visite successivement les cultures du Proche-Orient, de l’Inde et la Chine en étudiant leur développement et leurs contacts mutuels. C’est l’occasion d’apprendre bien des choses, même si l’on a déjà des notions d’histoire, surtout grâce à la comparaison qui reste l’outil de base de l’anthropologie. On en conclut cependant que la décision de qualifier telle ou telle période historique, ici ou là, de « renaissance » est une question relativement rhétorique qui n’apporte pas grande chose, sauf à l’estime de soi de ceux que cela concerne directement.
Ce livre contribue cependant à une analyse multiculturaliste, voire multiréaliste, qui commence lentement à s’imposer et qui estompera progressivement l’impression que l’Europe a été l’unique berceau des savoirs et le centre du monde pendant la majeure partie de l’histoire. Ce qu’elle a été, certes, c’est l’actrice et la principale bénéficiaire d’un progrès technologique et économique à partir de cette Renaissance, sur la base de l’exploitation d’empires coloniaux.
Voilà pourquoi il paraît d’autant plus important de resituer ce processus de renaissance culturelle dans le contexte large et global qui a permis son émergence.
Emmanuel Thibault
Source: La lettre du crocodile