André Prodhomme est cet explorateur respectueux de l’humanité qui scrute avec lucidité et bienveillance les expressions sombres ou clarifiantes de l’être humain. Ses poèmes apparaissent comme un chapelet musical d’empathies dans un temps où la destruction de l’empathie est orchestrée méthodiquement. L’autre, surtout l’autre en sa vulnérabilité, peut être détruit. Tel est le message premier de notre temps. André Prodhomme livre les antidotes à cette guerre sociétale, célébrations de l’autre et de la vie même dans ses soubresauts mortifères.
Il rend aussi à l’écriture ses fonctions libératrices que le commerce du livre veut enfouir sous les décombres de la finance.
Corps à corps
Ces livres posés sur mon bureau
Dans un ordre incertain
Sont des bestioles affamées
Des ingénues fatiguées
Qui attendent trop de moi
Qui oublient
Que je ne lis pas pour survivre
Qui pourraient avancer
D’un centimètre au moins
Faire l’effort de me sauter au visage
Comme elles faisaient autrefois
Il n’y a pas si longtemps
Quand elles étaient
Le rouge aux lèvres sans rouge à lèvres
Des sorcières inquiétantes
Apportant de l’eau de vie à mon moulin
Au lieu de me laisser
Comme elles font aujourd’hui
Avec les pensées empilées
Sur leur derrière abstrait
Leurs titres insupportables
Leurs couvertures déguisées
Recto verso
Je leur dis non Fus-je désœuvré
Je ne serai pas enfariné
Par le premier monstre littéraire venu
Je veux des couleurs
Des chairs fraîches ranimées
Des cheveux d’herbes folles
Des bouches qui crient au secours
Des promesses sauvages qui se débattent
Le corps en feu
Qu’on craigne mes sales pattes
Mes traces de doigt en marque-page
Mon odeur de lecteur aux abois
Qu’il y ait une rencontre
Un choc une aventure de forêt humide
Sans cailloux à laisser
Sur le chemin du retour
Et qu’arrive enfin le livre
Qui accepte de payer à son tour le prix
Perdant sa hauteur d’étagère
Arrachant sa dorure sur tranche
Gagnant haut la main sa dignité de berger
André Prodhomme sait être au plus près de la meute comme au plus près de l’individu, pour capter la matière émotionnelle qu’il sculpte avec les mots.
L’altération doit être prise en compte, telle qu’elle, pour qu’une libre restauration révoltée soit rendue possible.
Le poète l’a dit
Le chemin proposé à l’homme est une asymptote
Pour tenir debout et garder une allure sportive
Il se muscle au quotidien avec tous les engins disponibles
Gardant l’oeil vers cette courbe aveuglante
Surinformé et ne sachant rien de nouveau
Sur ce monde insensé
Beau terrible jouissif ignoble
Je pose la question de l’ouverture du bal
…
Extrait de Le chemin