Si Charles Antoni croit « qu’il faut faire avec son temps », il ne cesse de nous inviter à l’atemporalité de cet « ici et maintenant » par lequel s’actualise « le déjà et pas encore » cher à Henri Corbin ; l’intervalle, accès unique à notre nature originelle et ultime. Toutes les traditions insistent sur cette conquête indispensable de l’instant présent mais peu d’écoles mettent finalement en œuvre le dispositif nécessaire à celle-ci. Cette praxis permanente qui nous rapproche de notre principe, de l’axe de l’être et partant de la liberté absolue constitue la clé de toute voie initiatique, une clé oubliée, perdue, parfois même volontairement jetée.
Charles Antoni lance un regard lucide sur le monde et fait le constat de l’homme tel qu’il est. Effroyable de stupidité et de cupidité. Pour lui, l’urgence de la mise en œuvre d’une praxis relève de la survie. Si nous pensons que ce monde et les temps actuels ne sont aucunement pires que d’autres et que le problème est moins l’état du monde, du savoir et de l’homme que le rapport pathologique et contracté que nous entretenons avec eux, nous suivrons par contre totalement Charles Antoni sur la nécessité du combat de l’être avec l’avoir et le faire pour éviter l’accident de vitesse, l’esclavagisme volontaire (Epictète déjà…) et autoriser un nouveau paradigme. Cet enjeu est permanent et le monde n’est là que pour son entendement.
Il est très intéressant que pour Charles Antoni cela passe par une réappropriation du langage, par une escrime intellectuelle, la dialectique éristique de Schopenhauer. Un autre rapport au langage, non aristotélicien, est en effet un moyen de cet autre paradigme qui en appelle à l’être libre des contingences. Charles Antoni cite très justement Cioran : « Connaître, vulgairement, c’est revenir de quelque chose ; connaître, absolument, c’est revenir de tout. L’illumination représente un pas de plus : c’est la certitude que désormais on ne sera plus jamais dupe, c’est un ultime regard sur l’illusion. ».
Charles Antoni invite au combat, à la traque des émotions et des pensées, au maintien dans l’instant présent, inscription de l’être en son axialité, en sa propre intimité inaliénable, ce qui demeure, pour devenir « le poète de sa vie ».
Ce livre est un cri mais un cri tranquille, non un cri de peur mais un cri d’alerte. Nous pouvons entendre le cri salutaire ou continuer à nous embarquer sur « la nef des fous ».