Surprenant, riche, passionnant, édifiant parfois. « Au commencement était l’hérésie. » Plus de deux cents hérésies sont ici présentées, des plus pittoresques au plus sérieuses, des plus superficielles au plus profondes.
Contrairement à ce que nous pourrions être enclin à penser, elles ne sont pas des déviances par rapport à une position originelle, elles sont apparues avant le dogme chrétien tel qu’il s’est fixé historiquement. La religion chrétienne officielle s’est même construite par son positionnement contradictoire avec les multiples croyances qui co-existaient dans les premiers siècles du christianisme. Le lecteur se rend vite compte que l’on ne peut guère continuer à parler d’hérésies mais plutôt d’un foisonnement de croyances, divergentes, voire opposées violemment, qui, en réalité, forment tous ensemble le christianisme dont le credo officiel n’est que le fruit d’un long combat davantage politique que spirituel.
Le lecteur trouvera un grand intérêt dans ses pages, intérêt historique, intérêt intellectuel et aussi spirituel. Ainsi la lecture des différentes hérésies gnostiques est riche d’enseignement sur les valentiniens, les basilidiens, les borborites, les marcionites, et autres. Ce livre permet de saisir combien la pensée religieuse et spiritualiste est vivante, riche, complexe, faite de rencontres et de mutations, et ne saurait se réduire à un dogme quel qu’il soit. Vouloir fixer l’expérience spirituelle dans un canon tue l’esprit.
Sur le plan historique, l’auteur pose de véritables questions, par exemple celle de l’antichrist, et non « antéchrist » à propos d’un personnage intéressant, Cérinthe (fin du 1er siècle) :
« Ce dernier pensait que Jésus était un simple homme, né charnellement comme n’importe quel homme. Cependant le Christ fils de Dieu, émanation ou Eon de Dieu, serait descendu sur lui lors de son baptême, et l’aurait accompagné jusqu’au moment de sa crucifixion, moment auquel il l’aurait quitté, pour remonter auprès du Père. Et c’était le seul Jésus homme qui serait mort sur la croix. Donc ce qu’on appelle Jésus-Christ ne serait qu’une entité provisoire.
On a pensé que derrière maints textes attribués à Jean il faut lire une polémique avec Cérinthe. Ainsi : « Car dans le monde sont entrés plusieurs séducteurs, qui ne confessent pas Jésus-Christ venu dans la chair. Voilà le séducteur et l’antichrist » (2 Jn 1/7). Cet « antichrist » ou, comme on dit ordinairement mais inexactement, « antéchrist » (en latin, ce mot signifierait autre chose, proprement celui qui vient avant le Christ »), ce serait Cérinthe, niant que Jésus soit totalement et à jamais le Christ, venu « en chair » (en sarki). (…)
Mais à suivre ainsi l’idée constitutive d’une littérature, on peut développer encore. Et si l’Antéchrist en réalité n’était pas Cérinthe ? Et si l’Apocalypse elle-même avait été écrite, comme Jean, par Cérinthe lui-même ? Certains de fait, dès la fin du 2ème siècle, l’ont prétendu, ne voulant pas pour cette raison qu’elle entre dans le canon chrétien ! Il est bien difficile en effet d’accorder ici l’idéalisme ordinaire de l’Apôtre en son évangile, et les imprécations parfois grossièrement matérielles du prophète.
On connaît maintenant le principe de la « pseudo dépigraphie », par lequel on confère autorité à un écrit en le couvrant artificiellement du nom d’un Apôtre. Qui donc a écrit quoi, et contre qui ? Que pense-t-on, que croit-on, et où est le vrai ? Quel beau roman on pourrait faire de tout cela ! Il est sûr en tout cas qu’avec ce genre de textes, où on anathémise plus qu’on ne raisonne (« Qui n’est pas avec moi est contre moi ! »), tout se ressemble et se brouille, la paranoïa est universelle, et n’importe quoi est attribuable à n’importe qui. »
L’hérésie n’est pas toujours là où on le croit, nombre d’hérésies sont basées sur un retour à des versions antérieures des textes, versions qui, dans beaucoup de cas, humanisent le Christ. Il faut donc lire ce livre pour comprendre la manipulation historique de l’Eglise selon un schéma d’exclusion et de réduction qui n’est pas spécifique à l’Eglise puisque nous le retrouvons dans la plupart des domaines d’activités humaines.