Nous devons déjà à Alain Mucchielli une œuvre de référence, en plusieurs volumes, sur le rite français, œuvre dans laquelle le lecteur aura trouvé une matière importante pour interroger la langue, ou les langues, la manière dont elles constituent et ordonnent le réel, tout comme un regard alchimique tout à fait pertinent. Nous retrouvons ces deux disciplines traditionnelles au cœur de l’ouvrage, explicitement consacré à l’alchimie, à ses apports à la Franc-maçonnerie, dans une perspective jungienne qui s’ouvre sur les traditions classiques.
« L’intégration de l’alchimie dans les rites maçonniques, nous dit-il, ne s’est pas seulement résumée en une appropriation de symboles, mais a eu un profond retentissement dans les racines mêmes de la franc-maçonnerie. Les francs-maçons, à travers des rituels symboliques complexes, suivent un parcours initiatique qui les mène communément à une compréhension plus profonde d’eux-mêmes et de l’Univers. Les étapes de la transmutation alchimique – solve et coagula – ont donc tout naturellement trouvé leur écho dans les degrés de l’initiation maçonnique, symbolisant la mort symbolique et la reconstruction du Temple. »
Cette présence de l’alchimie dans les rites maçonniques, que d’aucuns ne veulent pas voir, malgré les symboles issus de la tradition alchimique, donne sens au voyage et à la démarche initiatiques propres à la Franc-maçonnerie en ses diverses déclinaisons.
Si Alain Mucchielli commence par proposer une synthèse de l’évolution de l’Alchimie et de la Franc-Maçonnerie dans l’histoire, depuis leurs origines respectives, c’est pour mieux identifier leurs rencontres et la perméabilité de la seconde à la première. Au passage, il ne manque pas de restituer à Paracelse la place essentielle qui lui revient. Il n’oublie pas non plus Gerhard Dorn, John Dee, le Pseudo-Trévisan et d’autres figures marquantes, autant de marqueurs d’un vaste mouvement de pensée qui nourrit Jung et sa psychologie des profondeurs.
L’interprétation psychologique de l’alchimie par Jung a transposé nombre de principes et processus alchimiques au monde de la psyché afin de servir la compréhension et la mise en œuvre du processus d’individuation, au cœur de la psychanalyse jungienne. Alain Mucchielli prend grand soin, et c’est nécessaire de distinguer initiation et psychothérapie afin d’éviter des confusions qui deviennent trop courantes. Jung, qui ne cessera d’osciller entre ergon et parergon quant à l’alchimie, a développé un modèle théorique particulièrement élaboré et une pratique convaincante même si elle ne fait pour certains que fleurter avec la dimension initiatique, telle que l’alchimie opérative, externe ou interne, la propose.
L’apport de Jung est indéniable et dépasse la seule dimension psychologique, ce que nous a confirmé Le Livre rouge, il permet à la Franc-maçonnerie de proposer une spiritualité laïque qui ne soit pas vidée des apports traditionnels.
« Il ne s’agit pas de liberté mais de libération, il ne s’agit pas de changer les choses mais de changer la perspective, il ne s’agit pas d’agir ou de non-agir, il s’agit de se voir agir. Simplement construire son Temple sans jugement mais avec lux-cidité » écrit Alain Mucchielli.
En éclairant, principalement par Jung, la présence alchimique au sein de la Franc-maçonnerie, Alain Mucchielli cherche à réactualiser les fondements traditionnels des rites maçonniques et à leur restituer une dimension opérative tangible.
« La spiritualité devient, dans ces conditions, une « dimension anthropologique fondamentale ». Elle se concentre sur des expériences et des réflexions intérieures qui peuvent donner un sens à la vie, élever la conscience et promouvoir le bien-être émotionnel et psychologique. Elle devient alors une manière de cultiver la conscience de soi, de se connecter à sa propre humanité, de retrouver la philosophie en tant que philosophie de vie et de développer un sens de l’éthique et de la morale basé sur des valeurs à construire. Cette spiritualité-là n’est pas liée à une religion et encore moins à un dogme. Elle permet de lire le livre de la Nature et ressentir les joies et les souffrances des libellules et des cyprès » conclut-il.
Source : La Lettre du Crocodile