Voici un livre magistral, qui éclairera tous ceux qui s’engagent réellement dans une queste initiatique, que celle-ci soit envisagée, pensée et vécue comme voie chevaleresque, voie d’éveil, voie des Nombres, voie des Lettres ou autres.
Quiconque joue aux échecs, le « Noble Jeu », avec attention, pressent sa dimension initiatique. Pourtant, comme le remarque Jean Poyard, cette dimension a été peu étudiée et présentée, alors même que le jeu devient de plus en plus populaire.
La première partie de l’ouvrage, « Du jeu à la sapience », part à la recherche des sources métaphysiques, spirituelles, philosophiques du jeu. Jean Poyard y convoque Platon, Dante, Rabelais, Nicolas de Cues, entre autres, mais aussi Hermann Hesse et son Jeu des perles de verre, jeu dont nous savons l’importance en alchimie, très présente chez Rabelais, dans une modalité externe, métallique, tout comme dans une modalité interne.
Comme tout combat, le combat échiquéen exige des qualifications et compétences qui sont justement celles attendues sur le chemin initiatique : attention, rappel de soi, présence, intention et orientation justes, qui coïncident… En cherchant à réduire le hasard, le joueur se doit de prendre conscience des conditionnements pour s’en libérer. C’est bien de liberté dont il est question.
« De façon exemplaire, nous dit l’auteur, le Noble Jeu est un éloge à la liberté qui ne se donne pas, mais se conquiert progressivement par la Connaissance et dont le but porte un nom. Le Mat. Faire échec au hasard par la concentration et passer du déterminisme à un possible libre arbitre, tel est le cheminement caractérisant au plus haut point la condition humaine. »
L’apparence dualiste du jeu, les blancs contre les noirs, la Lumière contre les ténèbres, demande à être dépassée. Ce dépassement, qui est un accomplissement s’observe dans la pratique elle-même et dans les rapports du jeu, « miroir du monde » nous dit Jean Poyard, avec l’alchimie, l’Amour Courtois, la Géométrie sacrée ou d’autres traditions.
« Si, écrit Jean Poyard, les pièces du jeu d’échecs caractérisent les fonctions sociales, elles symbolisent avant tout des fonctions cosmiques et des principes qui gouvernent l’évolution spirituelle de l’homme et du monde. Dans ces conditions, on conçoit que les échecs aient toujours fasciné ceux qui exerçaient des responsabilités dans la conduite des affaires humaines comme dans l’art de la stratégie militaire. Mais aussi ceux qui avaient des responsabilités dans la conduite spirituelle des hommes. »
D’où son invitation à une « pratique méditative du jeu d’échecs » pour en saisir sa « dimension chevaleresque et initiatique ». Le Noble Jeu est une voie initiatique en soi qui a aussi la particularité d’éclairer les autres voies par son symbolisme, inépuisable.
Vertus cardinales, pierre cubique, énigme du sphinx, diagonale du Fou (« bishop » en anglais, « l’évêque »), tissage noir et blanc de l’échiquier, symbolismes, sens des règles, étymologies… sont quelques-uns des sujets développés dans ce livre passionnant. Un chapitre est consacré au Cheval de Troie, un autre aux rapports avec la Queste du Graal.
Jean Poyard, en bien des occasions, nous offre de belles leçons de Sagesse :
« Celui qui pratique le jeu d’échecs de façon méditative est ainsi amené à se dire : « Quand je prends le Cavalier entre mes mains, le seul à pouvoir franchir d’emblée la haie des pions qui me sépare de mon espace intérieur, je fais appel à la nécessaire connaissance de moi-même. Elle est le Fil d’Ariane de mon cheminement initiatique. Le Fou m’appelle à la vigilance, à lutter contre le sommeil de l’âme car, ce que le Christ dit, il le dit à tous : VEILLEZ. Quand je prends la Tour entre mes mains, je mobilise en moi les forces de volonté spirituelle sans lesquelles je n’atteindrai jamais le sommet de la montagne. La pratique du jeu me dit que la Sophia demande patience et sacrifices, et délicatesse. La Dame ne doit donc s’aventurer qu’avec prudence au début de la partie. Mais le temps de son rayonnement viendra. Alors, elle s’offrira. Car la connaissance vraie s’accomplit dans l’Amour qui est à jamais La Vie nouvelle dont nous parle Dante à propos de Béatrice. Quant au Roi, il est là. Je le sais. Il me dit qu’il convient de cultiver sa présence et de l’appeler sans cesse jusqu’à la victoire. Car il frappe à la porte. Et c’est à moi de l’ouvrir « pour que nous dînions ensemble ». »
Ce livre, foisonnant de connaissances, ne concerne pas seulement ceux qui pratiquent formellement le jeu d’échec, il nous concerne tous car le monde lui-même est un vaste échiquier qui a son reflet en notre intimité.
Source : La Lettre du Crocodile