Le mythe judéo-chrétien d’après la genèse et les Evangiles de Matthieu et Jean

Les éditions de La Tarente poursuivent le projet initié par Jean-Marc Tapié de Céleyran et Marc Thivolet, tous les deux disparus, de diffuser l’œuvre de Carlo Suarès (1892-1976), une œuvre dont nous ne dirons jamais assez l’importance.

Dans la pure tradition du midrash, Carlo Suarès interroge et interprète les textes d’une façon à la fois originale et traditionnelle. Nous nous souviendrons de La Bible restituée, rééditée en 2023 par La Tarente, et de son originalité. Le mythe judéo-chrétien d’après la genèse et les Evangiles de Matthieu et Jean est sans doute encore plus audacieux et surprenant. Il se veut une approche psychologique du mythe judéo-chrétien, une psychologie qui serait un étirement de la tradition et non une rupture avec la tradition, une psychologie ésotérique basée en grande partie sur la kabbale.

Carlo Suarès cherche à expliciter les composants des mythes fondateurs judéo-chrétiens à partir d’une unique clé qui ne cesse de se répliquer dans le temps et dans les modèles du monde concernés, équation voilée par un tabou.

« Ce formidable Tabou, écrit Carlo Suarès, qui recouvre le Livre d’un bout à l’autre est l’émanation d’une Société attentive à se protéger contre le mouvement même qui l’a engendrée et qui l’entraîne. Une civilisation est un développement historique qui comporte à sa base une représentation particulière de l’homme et de l’univers : une équation en mouvement, dont les inconnues, l’homme et l’univers, se comportent entre elles d’une façon particulière ; une équation que le mouvement historique (que constitue cette civilisation) est censé devoir résoudre. »

Après avoir identifié cette équation, sa nature, sa structure et son opérativité, Carlo Suarès explore ses expressions au sein du mythe judéo-chrétien et de l’histoire. Il revisite de manière très pertinente les ambivalences de certaines fortes dualités apparentes comme Elohim-Yhwh, Caïn-Abel, Esaü-Jacob (Israël), dans laquelle nous retrouvons des jeux de réplication qui ne seront résolus et accomplis qu’en Jésus. L’érudition de Carlo Suarès est mise au service d’une intuition plutôt que d’une démonstration aboutie, il indique les portes à pousser sans insister et développer les analyses. L’exposé est cependant suffisamment étayé pour que la cohérence du propos s’impose. Nous voyons ainsi la conquête de la dualité se composer à travers le ternaire Abraham, Isaac, Jacob. Ce sont les fonctions qui importent, notamment prophétiques, non les personnages.

L’incarnation du mythe commence avec le sujet de la circoncision. Carlo Suarès étudie les conséquences de la circoncision à huit jours, de l’incirconcision et de la circoncision à la puberté sur le développement psychique et la construction de l’individu, qui vont conditionner le mode de libération spirituelle possible. Il poursuit en instruisant les fonctions de Jésus et de Satan et interroge celle de Judas. C’est dans le geste eucharistique que se condense la question du dépassement de la dualité entre Ténèbres et Lumières et sa résolution inattendue. C’est le sens même de l’existence et de la tension permanente vers l’essence qui l’anime que le mythe met en scène.

Ce texte s’étudie et se vit davantage qu’il ne se lit. Carlo Suarès demande au lecteur de visualiser les scènes fondamentales rapportées dans l’Evangile de Jean afin de mieux prendre conscience de ce que la scène nous enseigne. On ne sort pas indemne de ce livre et c’est une bonne nouvelle. La liberté n’est pas un donné, elle doit se conquérir.

Source : La Lettre du Crocodile

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