André Cognard fut un disciple de maître Kobayashi Hirokazu, enseignant atypique et attachant, lui-même disciple de Morihei Ueshiba le fondateur de cet art martial. Par ce livre, il veut témoigner de la singularité et de la richesse de l’enseignement de son maître.
A la lecture de l’ouvrage, le lecteur comprend que maître Kobayashi, en véritable budoka (il était aussi kendoka et karateka), pratiquait son art comme une voie d’éveil.
« La fulgurance de l’action, confie André Cognard, résultat sublime de l’association entre l’absence d’intention et un désir d’être irrépressible, était selon lui un gage d’authenticité. Chaque cours était un rendez-vous avec la vérité. De même, l’allure, le panache et la force d’affirmer un idéal participaient à l’émancipation d’une vie gouvernée par la matière, sa rationalité, sa froideur.
Il n’aimait que la bonne humeur, les élans du cœur, et affirmait d’expérience que c’est cela, la voie des kami. Il y avait dans ses choix une apparente insouciance, mais ce n’était qu’une apparence. La réalité était tout autre. Il allait à son rendez-vous avec les kami. La spiritualité, nul besoin d’en parler, car c’était l’oxygène de ses jours. Suivre sa voie, c’était donner en toute occasion la parole et l’initiative à la part libre de soi, l’esprit. J’ai appris ainsi que l’on ne se libère pas en luttant là où l’on est pris mais en bougeant là où l’on est libre, en nourrissant ce qui est libre en soi. »
André Cognard revendique la subjectivité légitime du disciple en vers son maître pour dire comment sa rencontre avec Kobayashi Hirokazu l’a orienté vers la libération
Il met en évidence l’élégance de l’enseignement de son maître, l’élégance entendue comme la plus infime modification entraînant le plus grand changement favorable pour la personne. Cette recherche d’invisibilité, de transparence, d’ajustement tout en garantissant la verticalité, évoque les principes de la calligraphie. Le rapport à l’altérité, et notamment à l’adversité, que cherchait à établir Kobayashi Hirokazu, est particulièrement intéressant :
« Pour lui, il convenait de changer avant d’avoir atteint l’apogée. Changer la forme, changer l’idée, changer le cadre de référence, le cadre de la relation. Or, dans cette optique, celui qui freine votre ascension, qui introduit le doute dans votre conscience, qui remet en question votre manière de procéder, vous aide à maintenir l’incandescence de la braise, vous prive d’atteindre le point où commence la dégringolade. Ainsi, vous préservez la voie et son authenticité, et votre désir de la suivre. Bous n’atteignez le but que lorsque personne ne peut plus vous retenir, c’est-à-dire lorsque vous mourez. »
Si l’ouvrage est largement philosophique et métaphysique, André Cognard, ici et là, à travers des exemples, glisse quelques éléments de pratique qui expriment les fondamentaux de l’Aïkido, comme à propos de ma ai. Le corps est ici émancipateur.
« L’esprit, dit-il encore, n’est pas un espace particulier de l’être, il est. Ce n’est pas le lieu où se forme la pensée, il ne pense pas, il est. Il n’est pas le produit d’une conscience religieuse, il n’a pas à être relié, il est. Il n’est pas la somme des instances conscientielles qui font l’individu, il ne fait rien. Il n’est pas ce qui anime le corps, il est le corps. Il n’est pas le don d’une divinité, il n’est l’objet de rien, il est. Il est indépendamment de tout, vide de sens, d’intention, de pensée. Rien ne peut influer sur ce qu’il est, le modifier, car il est un, indivisible, immuable, immobile.
Dans l’univers, seul le vide est immobile mais il n’est pas l’absence de mouvement. Il n’est ni l’espace ni l’absence d’espace, il n’est ni le temps, ni l’absence de temps, il n’est ni objets, ni disparitions de ceux-ci. Il est un comme « un » et « un font exactement « un ». Vide et esprit sont un. L’esprit est la vacuité du sujet. Si le sujet contenait quoi que ce soit, il ne serait plus sujet. »
Aujourd’hui, l’Aïkido s’est développé dans le monde entier. Ce développement, notamment en France, s’est accompagné de divisions, de pertes de repères et d’exigences. Quelques enseignants cherchent à revenir aux fondamentaux de cet art martial essentiel. Kobayashi Hirokazu et André Cognard ont souvent été incompris par leurs pairs, ce livre est l’occasion d’approcher le message de Kobayashi Hirokazu sans préjugés.
Source: La lettre du crocodile