Les statues du grand portail de la cathédrale de Lausanne

Ce petit livre trilingue (français, allemand, anglais) est un catalogue d'exposition qui accompagne la présentation d'un ensemble de statues figurant sur le portail principal de la cathédrale Notre-Dame de Lausanne, capitale du canton de Vaud située sur les rives du lac Léman,

une ville olympique, mais, on le sait moins, également une cité médiévale. Illustrée par le photographe local Claude Bornand, cette exposition est efficacement commentée par l'iconographe Jocelyne Müller, et c'est surtout l'occasion pour nos lecteurs passionnés d'histoire et de symbolisme médiéval de se familiariser avec des personnages peu connus : les prophétesses ou sibylles, qui figurent justement parmi la statuaire de ce portail.

Dans le style gothique, la construction de la cathédrale Notre-Dame de Lausanne, s'est étalée entre la fin du XIIe et le milieu du XIIe siècle, sous la conduite d'un évêché alors rattaché au Comté de Savoie. Elle fut consacrée à la Vierge Marie le 20 octobre 1275, en présence du Pape et de l'Empereur Rodolphe de Habsbourg, ce qui donne une idée de l'importance de ce monument à l'époque, puis elle devient un lieu de pèlerinage. Peu avant la Réforme, l'évêque Aymon de Montfalcon entreprit de grands travaux de transformation, dont la construction d'un grand portail gothique flamboyant commencée en 1515. Ce portail fut intégralement restauré à la fin du XIXe siècle par le sculpteur Raphaël Lugeon qui réalisa un travail scrupuleux, respectueux et fidèle, selon les mots de l'auteure et les vérifications que l'on peut effectuer à partir des vestiges et des croquis de la statuaire originale. Une nouvelle restauration douce en 2017 a donné lieu à l'exposition et à la publication de cet ouvrage. La statuaire inclut des scènes de la vie de Jésus qui ont fait l'objet d'une précédente publication, et soixante statues représentant des saints, des martyrs, des allégories et les fameuses sibylles.

Jocelyne Müller explique : « Inconnues de la Bible, les Sibylles, ces prêtresses douées de dons prophétiques, telle la Pythie de Delphes, apparaissent néanmoins dans l'art de la fin du Moyen Âge pour faire pendant aux douze petits Prophètes. On pensait en effet que du moment que les nations, grâce à l'apôtre Paul, avaient été invitées à entrer dans la communauté chrétienne, elles avaient été averties, elles aussi, de la venue d'un Sauveur. Ainsi, pendant que les prophètes annonçaient le Messie aux Juifs, les Sibylles promettaient un sauveur aux païens. » Toutefois, puisqu'elles-mêmes étaient restées des visionnaires païennes, elles ne figurent qu'à l'extérieur des édifices religieux, comme par exemple sur ce portail, et non à l'intérieur des églises. On ne connaissait au début qu'une seule de ces prophétesses, « la » Sibylle, qui fut rapidement considérée comme une sainte, puis ce type de figures se multiplia avec l'ajout de visionnaires locales : la Sibylle de Tibur, reconnue par Rome au XIIIe siècle, puis d'autres, jusqu'à correspondre au nombre des douze Petits Prophètes d'Israël et constituer ainsi une symbolique structurée vers la fin du Moyen Âge : Sibylles européenne, delphique, samienne, cimmérienne, cuméenne et tiburtine en Europe ; Sibylles érythréenne, hellespontique, phyrigienne et persique en Asie ; Sibylles lybique et agrippine en Afrique. Leurs attributs ornementaux correspondent à différents épisodes de l'histoire christique qu'elles auraient annoncés dans leurs visions. Cet ouvrage permet donc de mieux comprendre et découvrir la symbolique de ces figures évoquées ici et là dans la littérature.

En lien plus étroit avec la tradition locale, d'autres statues du portail de Montfalcon illustrent les martyrs dits « thébains » : Saint Maurice et ses compagnons de la légion égyptienne envoyée en renfort à l'empereur Maximien qui se rendait alors en Gaule, un récit que l'on connaît dès le début du Ve siècle dans lequel les soldats thébains, de confession chrétienne, sont massacrés par les troupes impériales sur le site d'Agaune (St Maurice, à la frontière entre les actuels cantons de Vaud et du Valais, dans la vallée du Rhône) pour avoir refusé de marcher contre les populations chrétiennes de la région. On y trouve également les saints protecteurs locaux Antoine, Sébastien, Anne, Barbe (ou Barbara) et Catherine d'Alexandrie, ainsi que les allégories des sept vertus : les trois théologales que sont la foi, l'espérance et la charité, et les quatre cardinales, soit la force, la justice, la tempérance et la prudence.

Cette publication est claire et bienvenue ; la seule chose que l'on peut regretter est que l'éditeur a choisi de ne pas justifier le corps de texte ce qui l'aurait rendu plus lisible.

Emmanuel Thibault pour la Lettre du Crocodile

VOUS AIMEREZ AUSSI

Haut