C’est Raymond Lulle lui-même qui donne ce titre, Proverbis de Raymond, à l’ensemble de ses propres proverbes, disponible en 1296. Peut-être une paraphrase de Salomon. Nous sommes en parémiologie. « La parémiologie, nous dit dans une introduction précieuse Patrick Grifreu, est l’étude des expressions codifiées par la tradition culturelle et insérées dans le discours où elles fonctionnent comme des actes de communication. La parémiologie se situe à cheval sur la langue et la littérature.
Elle est ce pays de tous et de personne, que lexicographes et linguistes ont foulé, et à travers lequel historiens et critiques de la littérature sont passés en laissant des traces. L’étude des proverbes a connu un développement extraordinaire ces dernières années et la parémiologie catalane n’est pas en reste, ayant à se pencher sur un corpus d’une richesse rare. »
A l’époque de Raymond Lulle (1235 – 1315), le mot proverbi est entendu dans un sens légèrement différent qu’à notre époque, c’est un « dit », une « parole », un « exemple », un « conseil ... Raymond Lulle maîtrise le genre et produira plus de 6000 proverbes, portant sur trois grands domaines, théologie, philosophie naturelle et philosophie morale. Raymond Lulle s’est fait une spécialité de détourner les genres littéraires qu’il utilise. Il en sera de même avec les proverbes. Nous avons affaire à un véritable enseignement structuré abordant de manière intégrative de nombreux savoirs.
« L’originalité de Lulle, souligne encore Patrick Grifreu, ne tient pas tant à sa quête de la rationnabilité de la foi, qu’il partage avec nombre de ses contemporains, qu’au développement d’une méthode de pensée hautement formelle et abstraite qui traduise en termes rationnels et « neutres » les vérités de la révélation pour ceux qui n’acceptent pas d’entrée l’autorité des textes sacrés du christianisme. On peut citer une sentence des Proverbes de Raymond pour illustrer cet aspect : « Disputer par autorités n’est pas de tout repos « (ch. 248, 5). On comprendra par là facilement que disputer en recourant aux autorités est interminable, voire inefficace. Lulle préfère utiliser pour cela ses théories et sa logique relevant de l’Art. C’est pourquoi on a pu qualifier cet Art d’ « autorité alternative », Lulle le proposant en lieu et place du corpus d’autorités habituellement utilisé dans les ouvrages théologiques et apologétiques. »
On comprend dès lors l’importance du livre. Les Proverbes de Raymond constituent non seulement un enseignement de référence mais propose une véritable méthodologie. Combattu par l’Inquisition, comme de nombreux franciscains, sa pensée théosophique et mystique se déploie à la croisée des trois cultures monothéistes, juive, musulmane et chrétienne qui coexistent, se fécondent et se combattent sur la péninsule ibérique.
Extrait :
« De l’abondance
1. Dieu est éternel et infini, il est abondance accomplie.
2. Dieu est aussi abondant pour une raison que pour une autre.
3. C’est par sa fin que Dieu se montre abondant envers toutes les fins.
4. Il ne peut y avoir abondance infinie là où il n’y a pas pouvoir infini.
5. Il ne peut y avoir abondance infinie sans acte infini.
6. Infini possifier et abonder s’identifient à infinir.
7. L’abondance infinie n’a pas besoin d’un autre.
8. De l’abondance intérieure vit l’abondance extérieure.
… »
Cette belle édition, aussi sobre que soignée, comme toujours aux Editions La Merci, est à la fois source de réflexion sur un genre et source de méditation comme l’affirme Raymond Lulle lui-même pour qui un proverbe est une « brève proposition renfermant une grande sentence ».