Rares sont les livres traitant avec bonheur de l’alchimie. Après le faux Fulcanelli, grossier et si peu élégant, publié par les Editions Liber Mirabilis, symptomatique de notre monde à l’envers, nous sommes donc heureux de proposer aux amoureux de l’art un livre utile autant que profond. Geneviève Dubois publie aux éditions Le Mercure Dauphinois un recueil de textes de Pierre Dujols et de son frère, sous le titre LES NOBLES EXRITS DE PIERRE DUJOLS ET DE SON FRERE ANTOINE DUJOLS DE VALOIS.
Quatre textes nous sont ainsi rendus disponibles dont les commentaires du Mutus Liber de Pierre Dujols (1862-1926), un magnifique inédit sur La Chevalerie et deux textes de Antoine Dujols de Valois, Valois contre Bourbons et La régénération de la vigne, le tout précédé d’un texte de Henry La Croix-Haute sur Pierre Dujols et son frère Antoine Dujols de Valois (1845-1892). Henry La Croix-Haute rappelle : Au très haut degré de connaissance où il était parvenu, il est indiqué de se rappeler un symbole mystérieux des Rose-Croix, espace spirituel où vivent les initiés à l’Invisible : le pélican dont les petits mangent le coeur, le tout surmonté de la croix du sacrifice. Cette représentation énigmatique conduit au proverbe cité par Jésus-Christ et relaté par saint Jean : Autre est le semeur, autre est le moissonneur, d’autres ont travaillé et vous avez profité de leur travail. Il s’ensuit le corollaire que celui qui profite se doit de citer ses sources afin d’éviter la malédiction ; de multiples exemples viennent à l’esprit : la décevante aventure de John Dee, la mort tragique de Delormel, la première traversée de la Manche par avion, la fin alcoolique de Jean-Julien Champagne L’étude de la personnalité et de la vie des frères Dujols incite à évoquer ce que l’on imagine des Rose-Croix : confrontés plus que les autres aux esprits de mensonge et aux vases d’iniquité, ils sont parvenus à un haut degré d’initiation, ils demeurent inconnus des profanes parmi lesquels ils vivent ; hors de nos contingences ils agissent imperceptiblement et transposent leurs songes en des lieux dont l’existence est mystérieuse. Les commentaires des quinze planches du Livre d’images sans paroles (Mutus Liber) constituent un modèle du genre. S’appuyant sur le texte d’Eyrénée Philalèthe auquel il renvoie les chercheurs, Pierre Dujols met de l’ordre par ses commentaires, il oriente tant par ses indications pertinentes que par ses avertissements : La figure inférieure de cette seconde planche représente un athanor entre un homme et une femme à genoux, comme s’ils étaient en oraison, ce qui a porté certains esprits faibles à croire que la prière intervient dans le travail comme un élément pondérable. c’est ici un facteur inopérant. Le principal, c’est d’employer les matériaux expédients ; mais l’élan de la créature vers le créateur peut influer favorablement sur les directives, puisque la lumière vient de Dieu. Qu’on s’affranchisse néanmoins de ces suggestions peu efficaces dans la pratique. La prière de l’artiste, c’est plus encore, le travail, travail opiniâtre, souvent dur, dangereux et incompatible avec les mains trop blanches. Comptez donc surtout sur l’improbus labor. Nous devons signaler tout particulièrement la figure représentant la rose hermétique obtenue par les sublimations précédentes. Il y aurait ici beaucoup de choses à dire. Tous les traités d’alchimie ne sont que des Romans de la Rose, au propre comme au figuré. Le premier soin de l’artiste consiste à y faire la part du vrai et du faux. Celui-ci domine et constitue la littérature hermétique. C’est une grossière erreur de croire que, chez l’homme, l’âme abandonne le corps avec le dernier souffle. Elle est elle-même entièrement chair, car la matière est une modalité de l’esprit à différents états sous la dépendance d’une étincelle majeure et plus subtile, qui est le Dieu de chaque organisme et si la Science nie la réalité de l’esprit parce qu’elle n’en a jamais trouvé trace, elle déshonore son nom. Un cadavre, rigide et glacé, n’est nullement mort au sens absolu. Une vie intense, mais inconsciente heureusement et sans réflexes sensibles, continue dans la tombe, et c’est de cet horrible et plus ou moins long combat qui est le Purgatoire des Religions que la matière, distillée, sublimée, transmuée et vaporisée par l’action du Soleil, s’élance dans le plan amorphe, qui a ses degrés depuis l’air jusqu’à la lumière élémentaire et de celle-ci au feu principe où tout finit par se résoudre et d’où tout émane à nouveau. Si les commentaires alchimiques de Pierre Dujols sont remarquables, son manuscrit inédit sur la Chevalerie est sans doute l’un des plus beaux et importants textes sur ce sujet difficile. Pierre Dujols se passionna pour la Chevalerie. Il alla jusqu’à diriger les rituels de l’Ordre du Temple Rénové créé en 1905 par René Guénon. Il possède une sagesse et une expérience de la Chevalerie qui devrait être enseignée dans toutes les écoles à prétention chevaleresques, la franc-maçonnerie y compris. Voici quelques extraits qui démontrent la profondeur du texte : En réalité, la Chevalerie était une organisation très complexe basée sur le ternaire et comprenait le corps, l’âme et l’esprit. L’esprit était constitué par un aréopage de hauts initiés, prêtres-philosophes héritiers de la sagesse et de la science égyptiennes des Mages, de Pythagore, de Platon et des Druides de la Celtique. Ils conservaient dans leur collège les traditions mystériales de l’antiquité et imprimaient le mouvement à l’organisme par l’intermédiaire des troubadours et des trouvères. Ceux-ci, bardes, ménestrels, jongleurs constituaient le corps médian qui servait de lien entre les deux extrêmes. Ils recevaient d’en-haut la doctrine et la transmettaient en bas au moyen de poèmes et de chanson allégoriques, dont le sens intime échappait souvent à l’auditoire composé de la gent bardée de fer, matière rude, grossière, rempart du dogme, qui prenait à la lettre les belles histoires des poètes et y puisait les vertus et l’héroïsme indispensables à l’action séculière que devaient accomplir les guerriers de la Corporation. Pierre Dujols fait référence à Grasset d’Orcet pour expliciter la Chevalerie du Brouillard : Il nous révèle l’existence d’une Chevalerie du Brouillard. Cette manchette qui évoque la basse littérature de certains feuilletonistes, correspond à un principe de haute métaphysique du domaine de la Gnose. Le Brouillard dont il s’agit est l’inconnaissable, le Pater Agnostos des ésotéristes. Il est peut-être encore autre chose d’aussi inaccessible que les Philosophes hermétistes savent bien, mais qui n’entre point dans notre sujet. Voici donc deux textes qui pourraient tous les deux être utilisés comme instruction introductive à l’étude de l’alchimie et de la Chevalerie. Les deux autres textes d’Antoine Dujols de Valois nous permettent de découvrir un autre Philosophe de la Nature de lignée royale, moins connu que son frère, mais nourri de la même sagesse, Antoine Dujols de Valois. L’esprit d’Elias Artista s’est certes posé sur ces deux hommes peu communs.
Editions Le Mercure Dauphinois, Geneviève Dubois, 8 rue d’Alsace, 38000 Grenoble-France.