.Ce livre est important. Il contribue à mettre fin à une ambiguïté qui pollue largement les processus initiatiques. Toute initiation s’inscrit dans une métaphysique non-duelle. Une métaphysique véritable n’est pas qu’une abstraction, c’est aussi une technique. Or l’Occident, à de rares exceptions, Eckhart, Rabelais, Spinoza… a sombré dans un dualisme stérilisant le procès initiatique. Jean Bouchard d’Orval nous rappelle que les traditions de l’Egypte antique et de la Grèce antique, jusqu’à Parménide sont profondément non-dualistes.
L’Occident et l’Orient ont puisé à une source unique, non-duelle, mais l’Occident a rompu cette alliance qui nourrit l’initiation traditionnelle. Certes, des lignées persistent, parfois inattendues, certes les connaissances et les praxis traditionnelles perdurent mais dans un contexte peu favorable voir hostile.
« La même Source, précise l’auteur, s’est incarnée en Grèce archaïque, à travers les nombreux sages-poètes-guérisseurs-législateurs qui perpétuèrent une tradition influencée par l’Asie, le Moyen-Orient et l’Egypte. A partir du Vème siècle avant notre ère, les grands penseurs de la Grèce classique, ceux à qui nous sommes pourtant redevables de plusieurs belles choses, ont de plus en plus méconnu ou négligé cette Source, ont donné préséance à la pensée rationnelle et oublié les dieux pour replier l’homme en tant qu’individu sur lui-même. C’est ce rationalisme et cet humanisme qui furent repris à la Renaissance – période fort mal nommée – pour finalement aboutir, depuis le Siècle des Lumières – époque tout aussi mal nommée du point de vue traditionnel – à la manière absurde dont nous vivons maintenant sur terre. Le résultat est l’oblitération irrémédiable de tous les éléments d’une civilisation traditionnelle. Même si cela ne pouvait être su à l’époque, le destin de l’Occident s’est joué durant le siècle qui sépara Parménide et Platon. »
Jean Bouchard d’Orval analyse les constituants de cette « perte du sacré » avant de rappeler les fondamentaux de la tradition égyptienne ammonienne en insistant sur le caractère non-duel de celle-ci, derrière l’apparaître organisé, nécessairement dualiste dans sa forme manifestée.
« L’activité d’Atoum est « interne », car il n’existe rien en dehors. Comme il n’y a qu’une seule Réalité, cette « activité « qui semble pourtant être autre chose que l’Etendue indifférenciée, engendre une sorte de résistance et c’est cela qui crée le phénomène, la manifestation de ce que nous appelons le monde. Atoum, par son activité, engendre donc la dualité, même si cette dualité demeurera toujours apparente. »
L’auteur aborde un autre aspect fondamental du procès initiatique, l’axialité et le rapport entre cette solarité et sa manifestation lunaire, périphérique, rapport qui se trouve au cœur des opérativités :
« Au sein de la plupart des traditions spirituelles de l’humanité, on trouve deux courants, qu’on peut appeler solaire et lunaire. Le premier se réfère à la spiritualité parfois qualifiée d’hyperboréenne, dans laquelle domine l’homme engendré de lui-même : conception spirituelle de l’homme sans la femme maternelle, la création adamique. Les inscriptions égyptiennes l’appellent souvent « Taureau de sa mère », ce qui signifie la conception spirituelle, de soi-même Rê, autosuffisant, est le symbole suprême de ce courant, cette manière de concevoir la genèse cosmogonique. C’est aussi ce que symbolise Amon-Min dans sa représentation ithyphallique omniprésente sur les murs des temples. C’est l’Homme Cosmique, l’Homme Royal, celui qui servit de modèle à la construction du temple de Louxor.
Le deuxième courant se réfère à la civilisation de la Mère. Isis, la femme initiatrice, redonne vie à Osiris et engendre Horus, l’Homme Nouveau. Les deux courants ne sont pas contradictoires, mais la prépondérance du deuxième dans les derniers siècles s’accompagna d’une sorte de relâchement par rapport à la spiritualité verticale et sans compromis des siècles précédents. »
Ce rapport ajusté entre solarité et lunarité vaut non seulement pour la civilisation égyptienne mais constitue une clé opérative pour tout questeur. Ce livre n’est pas seulement une analyse du passé, il livre des éléments traditionnels indispensables à celui qui, aujourd’hui, s’engage sur un chemin de liberté.
Le travail, rigoureux et passionnant de Jean Bouchard d’Orval, qui porte tant sur la civilisation égyptienne et la civilisation grecque, identifiant les causes profondes d’une décadence spirituelle dont nous vivons les conséquences quotidiennement, invite à ne pas laisser « la pensée se substituer à la fulguration de la lumière de la vérité ».
Editions Almora,
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