Plus qu'un hommage, il s'agit d'un voyage dans le monde conceptuel deleuzien, une exploration des marges incertaines nées de la rencontre très libre de la chair et de l'esprit dans une personnalité à la fois attachante et surprenante.
Gilles Deleuze est l'un des philosophes les plus pertinents de la seconde partie du XXe siècle, il est aussi l'un des rares philosophes qui permet de mieux vivre. Plus d'harmonie et plus d'intensité tout à la fois.
Les témoignages sont variés, multiples, très analytiques ou chargés d'émotions, poétiques ou rationnels, inconditionnels ou mesurés. Jean-Pascal Alcantara, Eric Alliez, Yannick Beaubatie, André Bernold, Roger-Pol Droit, Jean-Claude Dumoncel, Elie During, Jean-Pierre Faye, Alain Galan, Maurice de Gandillac, Jean-Louis Leutrat, Sylvère Lotringer, Jean-Clet Martin, Philippe Mengue, Richard Pinhas, Jacques Plainemaison, Françoise Proust, Alain Roger, René Schérer, Arnaud Villani, nous parlent de Deleuze, de leur Deleuze et ont parfaitement respecté l'idéal de Gilles Deleuze :
"Mon idéal, quand j'écris sur un auteur, ce serait de ne rien écrire qui puisse l'affecter de tristesse ou, s'il est mort, qui le fasse pleurer dans sa tombe."
Voici un tombeau réussi, joyeux et profond, qui s'il fait pleurer Deleuze, le fera pleurer de tendresse.
Mais revenons à Gilles Deleuze. Nous vous avons déjà dit combien il a su comprendre et prolonger Nietzsche. Nietzsche a eu une influence considérable sur la formation de la pensée de Deleuze, davantage encore que Bergson et Spinoza qu'il a longuement étudiés. Philippe Mengue nous dit que plus encore d'influence, "Nous devons tenir la double idée suivante : Nietzsche fait Deleuze et Deleuze fait Nietzche. Ou plutôt Deleuze en faisant sien Nietzsche, fait son Nietzsche et par là se fait lui-même. Il y a là exactement ce qu'il appelera plus tard un "devenir", et qui ne peut se réduire à un rapport de simple identification, imitation ou subjugation d'un des termes l'un à l'autre. Deleuze ne devient pas nietzchéen sans que Nietzsche ne devienne deleuzien."
L'interprétation deleuzienne de Nietzsche est sans doute, avec le commentaire de Heidegger, la plus remarquable car plutôt que de figer l'oeuvre nietzschéenne en un monument indépassable, définitif, il en fait un processus vivant, multiple, pluriel. Cette philosophie de la différence axée sur l' affirmation pure est antidialectique. Sous le regard deleuzien, le surhomme, l'éternel retour de Nietzche échappent à toutes les errances que l'histoire ou la bêtise ont imposé. Philippe Mengue conclut :
"Cette nouvelle idée de la philosophie qu'invente Nietzche, et avec lui Deleuze, est à la source de la philosophie du multiple et des devenirs, qui est celle de Gilles Deleuze. On y décèle déjà les thèmes majeurs du refus de la transcendance au profit de l'immanence, des normes immanentes de vie, le refus de la dialectique et du privilège du négatif au profit des agencements de désir, du refus des passions tristes, la joie des devenirs, l'intempestif, etc- L'oeuvre de Nietzsche constituera continément, non seulement une batterie de concepts où Deleuze n'aurait cessé de puiser, mais un milieu d'effervescence pour les pensées futures, un plan d'immanence où il pouvait rectifier et limer au plus juste les concepts qu'il créait et dont il avait besoin."
De la même manière que "Deleuze en faisant sien Nietzche, fait son Nietzche et par là se fait lui-même" ce livre nous invite, et c'est un grand bonheur, à faire nôtre Deleuze et par là à nous faire nous-même.