Sous la forme d’un roman, Denis Castel part en croisade contre la société française et son aristocratie de fonctionnaires. Il pose l’hypothèse qu’un citoyen ordinaire exaspéré peut déclencher une véritable révolution en organisant la prise de conscience et les pressentiments partagés par un nombre croissant d’individus.
Denis Castel, familier des mécanismes financiers, a pu observer les rouages d’une société de plus en plus inégalitaire et injuste. En prenant pour cible principale le secteur public, Denis Castel se trompe probablement d’adversaire, il ne semble pas saisir que cette opposition artificielle public/privé est ce qui permet à quelques castes régnantes de maintenir le système inégalitaire en place avant de le transformer en période de crise pour en garder le contrôle et faire accepter l’inacceptable. Cependant, son analyse critique d’une société vieillissante dont les bases sont prêtes à s’effondrer est souvent judicieuse et il y a beaucoup à prendre dans ce roman qui pourrait être prophétique en plusieurs aspects. Il y a d’abord cette idée forte que le bouleversement ne vient pas d’un citoyen exceptionnel mais d’un citoyen ordinaire dans une situation exceptionnelle. Ce qui sous-entend que nous sommes entourés de révolutionnaires potentiels. Denis Castel, à travers son héros anti-héros, François Puisange, dresse le catalogue des ingrédients nécessaires à l’explosion. Ils sont presque tous là, il ne manque que ce qui (personne, groupe, ou situation) les mettant en présence les uns des autres, provoquera l’explosion.
Dans sa post-face, Denis Castel espère toutefois :
« Le pire n’est pas toujours certain… Cet ouvrage se voudrait certes un avertissement et une mise en garde, mais il n’en reste pas moins une pure fiction. Tout est toujours possible. Les salariés de la SNCF et de la RATP accepteront peut-être de bon cœur, et sans se lancer dans une grève massive, l’instauration d’un véritable service minimum. Une innovation technologique majeure, mais encore insoupçonnée, permettra peut-être à des pays comme la France de tripler leur croissance économique dans les années à venir. L’énorme surplus de recettes fiscales qui en découlera contribuera alors à résoudre sans douleur l’épineux problème de l’endettement massif de la France et son rating ne sera peut-être jamais remis en question par les agences de notation financière.
Chacun, y compris l’auteur de ces lignes, ne peut qu’espérer qu’il en soit ainsi. Au risque de paraître prétentieux, c’est là tout le paradoxe de ce livre que de s’évertuer à narrer des événements plausibles mais incertains et à mettre en scène une crise inéluctable dans le seul espoir de l’empêcher de se produire et de se voir ainsi donner tort par la réalité des faits. »
Enfin, voici un extrait très parlant dans le contexte de la crise récente (rappelons que ce livre est sorti avant les conflits dans les banlieues françaises) :
« La France est enfin malade de ses banlieues. Qui peut croire que les violences dites urbaines resteront circonscrites aux banlieues-ghettos, Val-Fourré et autres cités des Quatre Mille, et ne risquent pas de dégénérer en scènes de pillage dans les rues commerçantes de la capitale ? Quelques déplacements incognito en RER et dans les cités permettraient à ceux qui nous gouvernent de mieux connaître ceux qu’on appelle « les jeunes des banlieues ». Je reste dubitatif quant à leurs facultés d’abnégation face aux inégalités de plus en plus criantes de notre modèle de société. Ils apprécient, et je les comprends, les grandes marques, Lacoste, Nike… Il est vrai que les matières y sont quand même de meilleure tenue et les vêtements de meilleure coupe que ceux que l’on peut trouver pour beaucoup moins cher dans les hypermarchés. Alors je me demande combien cela prendra de temps, avant que ces jeunes, sans perspectives pour cause de chômage et d’ascenseur social en panne, n’en viennent à déferler,, en masse pour ne pas dire en horde, sur le XVIème arrondissement, Neuilly et autres banlieues bourgeoises. »
Ce livre apparaît comme un cri de détresse, entre sombre désespoir et espérance déçue, né d’une expérience que de plus en plus d’individus partagent sans savoir qu’en faire. Il manque à ce livre la créativité qui permettrait d’élargir les choix intellectuels et comportementaux nécessaires à la sortie de crise. Mais ce n’est peut-être pas la fonction d’un tel livre.