Dans de nombreuses Traditions, occidentales comme orientales, les lettres, et les nombres, tiennent une place centrale pour la compréhension de la métaphysique comme de la cosmogonie. La kabbale a, plus que beaucoup d'autres courants, consacré de longues études à la signification des lettres dans les langues sacrées.
L'auteur rappelle quel en est l'enjeu :
"Dans l'esprit de Guénon, les langues sacrées sont le véhicule des formes traditionnelles secondaires, " adaptations régulières " (en ce qu'elles résultent d'une transmission effective) de la Tradition primordiale. Ces adaptations successives, de même que l'existence d'une pluralité de ces langues, résultent de la nécessité d'être compris à une époque donnée, dans un milieu déterminé. Elles comportent de ce fait une multiplicité de sens propres à rendre directement accessibles des fonctions symboliques, fonctions qui ne peuvent être éludées dans l'interprétation des textes. Sur ce point précis tous les anciens commentateurs, qu'ils soient chrétiens, musulmans, ou juifs, pour se limiter à l'Occident, sont quasiment unanimes.
De fait, dans une langue sacrée, les mots conservent une polysémie autorisant différents niveaux de lecture ; cette polysémie devant être comprise comme étant une simultanéité de plusieurs significations et non pas comme une multiplicité autonome de celles-ci. [...]
Ainsi, le propre de telles langues sera de demeurer cohérentes dans tous leurs niveaux d'abstraction bien qu'elles ne possèdent pas, en elles-mêmes, de mots abstraits. [...]
Chaque niveau d'exposition conserve intégralement ses liaisons avec l'ensemble des autres. Ainsi, Héraclite parlait de trois niveaux principaux : parlant, signifiant et cachant, correspondant à ce que nous désignons par littéral, symbolique et hiéroglyphique et que R. Guénon mettait en rapport avec le symbolisme initiatique bien connu d'épeler, lire, écrire."
La kabbale énonce quatre niveaux de lecture : Peshat, le sens littéral, Remez, le sens allégorique ou tropologique, Derash, le sens anagogique, Sod, le sens mystique ou métaphysique. Les deuxième et troisième niveaux sont considérés comme les articulations entre exotérisme et ésotérisme. Les lettres sont des entités vivantes qui peuvent être appréhendées dans les trois ordres de l'essence, de la cosmogonie et de la nature de chaque être.
Roland Bermann nous conduit donc, lettre après lettre, dans le chemin secret et sacré des lettres, s'appuyant tant sur les écrits traditionnels, sur les oeuvres des kabbalistes médiévaux notamment, que sur des penseurs modernes et contemporains. Un travail d'une grande richesse qui ouvre au lecteur une porte parfois inattendue sur les Ecritures.