Nous connaissons depuis quelques décennies un lent déploiement ou redéploiement du féminin sacré. L’archétype fondamental de la Déesse, qui ne cesse de se renouveler, trouve aujourd’hui un terrain favorable à son épanouissement.
L’approche comparée de David Frapet, permet de distinguer une permanence de la Mère Divine dans des traditions qui offrent des formes très diverses. Il n’hésite pas à puiser également dans la littérature ou la psychanalyse (apport d’Eric Fromm) pour étayer son propos dans un domaine d’une grande complexité.
Il présente les enjeux de la compréhension de la nature et de la fonction de la Mère divine au sein de diverses traditions, ainsi dans l’hindouisme :
« La Mère Divine représente l’aspect féminin du Principe Unique, l’Energie (Shakti) par laquelle le Créateur entre en action dans l’Univers en quittant son statut de Nigurna Brahman – de Dieu non-qualifié – pour prendre celui de Saguna Brahman – de Dieu qualifié. C’est donc la Mère Divine qui répand le voile de la Mayâ sur le monde, et se confond avec lui. Affirmons encore une fois que Mayâ n’est pas mauvaise en elle-même, car rien de ce qui vient de Dieu ne peut être mauvais, et au bout du bout, tout n’est question que de perception. Le problème majeur c’est que le jîvâ – l’être séparé de Dieu – ne comprend pas la nature ontologique de la Mayâ, et surtout qu’il ne cherche pas à aller au-delà du voile qui l’empêche de voir la claire lumière primordiale. »
La « chute » dans la dualité installe cette séparation apparente qu’il faudra dissoudre ou effacer pour revenir à la source non-duelle. Chaque tradition véhicule son lot de préjugés qui participent à maintenir les identifications dualistes. Si Eve a commis le péché originel dans le christianisme, c’est Adam qui a désobéi dans l’islam. L’approche comparée permet ainsi d’aller au-delà de ce qui se présente pour saisir l’essentiel.
La première partie de l’ouvrage traite de la présence des Mères Divines dans les traditions d’Occident et du Moyen-Orient : Isis, Astarté, Hécate, Cybèle, Marie, la Shekinah et autres mais aussi la Reine de Sabah ou Fâtima az Zahrâ, la plus jeune des quatre filles de Mahomet. Dans cette partie, David Frapet évoque des expériences personnelles comme dans la célèbre salle 104 du magnifique Musée Guggenheim de Bilbao qui habite les labyrinthes de Richard Serra ou encore au sein de la Sagrada Familia de Gaudi à Barcelone.
La deuxième partie aborde la conjugaison de l’Orient au féminin sacré, qui semble plus naturelle mais n’en est pas moins complexe et problématique. David Frapet nous conduit dans un voyage initiatique auprès de Kalî, Lakshmî, Sarasvatî, Parvatî, Durgâ ou, côté bouddhiste, Tara ou Kwan Yin, quelques-unes des principales figures divines féminines dans un Orient peuplé de Déesses. L’adoration de la Shakti, essentielle en Inde, prend des formes très variées et parfois surprenantes, par exemple dans le shivaïsme.
« Ces Déesses, précise l’auteur, ne sont que les Noms et les Formes de la Mayâ de Shiva, et ces Noms et Formes s’harmonisent en une Shakti unique appelé Devî. Cette Dêvi est « La Cause Première de tous les mondes, la Forme Parfaite des énergies d’innombrables Dieux, la Prakriti Non-manifestée, primitive, Suprême, la Mère qu’adorent les Dieux et les Grands Sages » (Markandeya Purana). »
Le voyage nous conduit à Bénarès et auprès du Gange. Le pèlerinage à Bénarès, ville de Shiva et du Lingam, est la synthèse ou condensation de tous les pèlerinages de l’Inde pointe vers la non-dualité, finalité de tout chemin initiatique.
L’ouvrage très dense de David Frapet n’en est pas moins agréable. La multiplicité des entrées et des apports ne nuit pas à l’orientation de l’ouvrage et rend bien compte des multiples reflets du monde de la Mère Divine. Les détours offrent des perspectives nouvelles et renforce le propos.
« Nous avons tous, conclut l’auteur, au moins une fois dans notre vie, rencontré la Mère Divine. Puisez donc dans vos souvenirs et réfléchissez bien, car la Mère Divine est certainement déjà venue à vous. »
Source: La lettre du crocodile