Un article de Jean-Pierre Lassalle intitulé « André Breton et la Franc-Maçonnerie » (Histoires littéraires, numéro 1, janvier 2000) a dévoilé au public l'existence d'un noyau de franc-maçons actifs, dès les années cinquante, à l'intérieur et en périphérie du groupe surréaliste parisien. Ces individus étaient liés à une loge de la Grande Loge de France, fondée en 1901 et portant le titre distinctif de Thébah (« l'Arche » en hébreux). À l'époque, la Grande Loge montre quelques divergences fondamentales avec le Grand Orient de France, plus intéressé par l'implication politique et sociale, notamment sur la question de la laïcité et de l'humanisme moderne. La Grande Loge de France, autre branche importante de la franc-maçonnerie dans ce pays, représente alors le versant plus traditionnel et ésotérique. Elle se rattache au Rite Écossais Ancien et Accepté. Selon Jean-Pierre Lassalle, le recrutement de la loge Thébah « était sélectif et l'on y trouvait nombre d'esprits originaux, à la fois tournés vers la tradition et ouverts aux novateurs (p.89) ». L'écrivain ésotériste René Guénon y a été initié en 1912.
« En quelques années, nous dit Lassalle, la Loge Thébah rassembla en son sein plusieurs Surréalistes parmi lesquels [René] Alleau, Elie-Charles Flamand, Bernard Roger, Guy-René Doumayrou, Roger Van Hecke, Jean Palou. » Nous verrons plus loin que presque tous ont pratiqué l'alchimie. Parmi ces individus, René Alleau, Guy-René Doumayrou et Bernard Roger ont continué d'entretenir des relations avec les surréalistes de Paris. Dans la pétition « Le Grimoire sans la formule », lancée en 2003 par l'astrologue surréaliste Fabrice Pascaud, afin de dénoncer les projets de muséification de l'atelier d'André Breton, les signatures de Lassalle, Flamand, Doumayrou et Alleau, se retrouvent aux côtés de celles d'Emmanuel Fenet et Michael Lowy, deux participants du groupe de surréalistes alors réunis à Paris autour de la poétesse Marie-Dominique Massoni. Plusieurs membres du Mouvement Surréaliste, de Phases et du groupe de la revue Supérieur Inconnu sont également signataires.
Ex-libris d’Henri Hunwald
Le médecin et alchimiste Henri Hunwald est responsable de l'entrée en franc-maçonnerie d'Alleau, puis de Roger, Doumayrou, Flamand, Palou et Van Hecke. Né le 24 janvier 1908, en Hongrie, il émigre en Roumanie, avant de s’installer à Paris. Disciple du baron Alexandre Von Bernus, ses recherches dans le domaine hermétique sont axées principalement sur la médecine spagyrique et les travaux de Paracelse. En 1940, à Paris, Hunwald se lie d'amitié avec Eugène Canseliet. En juin 1948, il soutient sa thèse sur Paracelse et les débuts de la chimie médicale.
En octobre de l’année suivante, il est inscrit à l'Ordre de Médecins de la Seine, exerçant la médecine générale et l'homéopathie. Le 26 avril 1956, le docteur Henri Hunwald est reçu apprenti franc-maçon dans la loge Thébah. Les relations d’Hunwald avec le mouvement surréaliste sont malheureusement peu documentées. Il était ami avec Maryse Sandoz, alors mariée au cinéaste surréaliste Michel Zimbacca. Breton avait beaucoup d'estime pour ce médecin homéopathe, qui le reçoit quelquefois en consultation. Les écrivains surréalistes Arpad Mezei et Marcel Jean lui adressent leurs remerciements, dans l'ouvrage Genèse de la pensée moderne dans la littérature française (1950), pour leur avoir fourni de la documentation au sujet des « âges successifs de l'humanité » et de la Grande Année de 25 790 années solaires. Au sommaire du premier numéro de la revue ésotérique La Tour Saint-Jacques, dirigée par Robert Amadou, le premier article est d'Henri Hunwald (« Paracelse le médecin à la croisée des chemins »), et le second d'André Breton (« Magie quotidienne », repris en 1970 dans le recueil posthume d’articles Perspective cavalière).
L’ésotériste surréaliste Bernard Roger m’a communiqué la copie d’un texte inédit d’Henri Hunwald, et qui ne semble pas avoir été destiné à la publication, sur les « origines cosmiques du pentagramme ». Cette figure était une représentation de l’étoile Vénus chez les Mésopotamiens, avant de devenir le symbole pythagoricien de l’homme-microcosme et de l’amour générateur. L’auteur explique que cette figure astronomique illustre les cinq révolutions synodiques de chacune des deux révolutions sidérales de Vénus, mouvements que les astronomes mésopotamiens, trois mille ans avant notre ère, ont réussi à déterminer avec exactitude :
« Coïncidence curieuse ou hasard objectif, les tablettes de Djomet-Nasr, aux pentagrammes parfaits, font partie de la collection Herbert Wald, à l'Ashmolean Museum d'Oxford, qui doit son origine au grand Elias Ashmole, dont le rôle de chaînon entre les Rose+Croix et la Maçonnerie est bien connu. »
Le roman de Michel Butor, Portrait de l'artiste en jeune singe (Gallimard, 1967), évoque l'enseignement ésotérique transmis par Henri Hunwald dans son appartement de la rue du Val de Grâce, lors de séances qui réunissaient notamment André Breton, Jean Palou, Eugène Canseliet et Claude d'Ygé. Aux environs de 1958, Hunwald et Alleau fondent le Cercle Hermès, un groupe de réflexion sur la science hermétique et l'alchimie, dont un des objectifs était la recherche de signes alchimiques dans le patrimoine construit de Paris. Bernard Roger, Guy-René Doumayrou, Élie-Charles Flamand, Eugène Canseliet, Claude d'Ygé et Mario Misraki (lui aussi membre de la Loge Thébah) ont participé aux travaux de ce groupe. En 1961, Hunwald est frappé d'une crise cardiaque pendant une tenue de *la Loge Thébah, alors qu'il officie à son poste de Premier Surveillant. Transporté à l’hôpital Saint-Antoine, il meurt dans la nuit.
L’ex-libris d’Henri Hunwald représente, dans un soleil encadré par les symboles des quatre éléments, un ballon en verre entouré par un Ouroboros ailé et couronné, et à l’intérieur duquel un corbeau est posé sur un crâne.
David Nadeau
BIBLIOGRAPHIE :
Paracelse et les débuts de la chimie médicale. Paris, 1948.
« Paracelse (1493-1541), le médecin a la croisée des chemins, quelques réflexions sur son oeuvre ».
La Tour Saint-Jacques, numéro 1, 1955.
Alexandre von Bernus, Alchimie et médecine, trad. Anne Forestier (sc. Anne Hunwald), introd. Dr Henri Hunwald. Dangles, 1960.
L’Astrologie (ouvrage collectif). Albin Michel, Collection « Cahiers de l’Hermétisme », Paris, 1984.