Malgré l’excellent Henri Corbin, la culture persane et l’islam iranien sont aujourd’hui oubliés, parfois rejetés. Ardavan Amir-Aslani, qui enseigne la géopolitique du Moyen-Orient à l’Ecole de guerre économique rend compte dans cet ouvrage passionnant de l’héritage perse et du rayonnement d’une civilisation dont nous avons tout autant besoin aujourd’hui que par le passé, malgré la période sombre que nous traversons.
Ardavan Amir-Aslani nous conduit dans la complexité et la richesse paradoxale de la pensée persane qui influe sur de nombreux domaines : philosophie, métaphysique, art, spiritualité…
« Ce qui fait le génie iranien, nous dit-il, c’est qu’il a rayonné bien au-delà de ses frontières. (…)
L’iranité est trop vaste pour la borner aux frontières actuelles de l’Iran. On ne peut pas la limiter à un peuple et un territoire uniques : l’Iran est une terre centrale qui sépare les mondes, une terre de jonction entre le monde méditerranéen et asiatique, qui relie l’Europe à l’Inde et à la Chine. »
La vaste culture persane se heurte à la dépréciation par les autres musulmans, en particulier Arabes. Ce positionnement hostile est un facteur déterminant pour comprendre les conflits actuels. Ignorer l’héritage persan c’est hypothéquer l’avenir de la région.
Le berceau de la civilisation perse pourrait être en Bactriane ou en Sogdiane. L’observation des langues permet d’identifier les peuples issus de cette matrice qui donna naissance à trois branches, l’une nordique, quasi-disparue, une deuxième occidentale, la plus répandue avec le farsi, le persan et peut-être le kurde et le balouchte, et une troisième dite orientale avec le sogdien, le patchoune, le dari. Ardavan Amir-Aslani remarque que le persan d’aujourd’hui est le même qu’il y a mille ans. L’influence culturelle de l’Iran est vaste, de la Turquie à l’Inde. Ceci se remarque notamment par la célébration du Nouvel An iranien, Norouz, dans quatorze pays autres que l’Iran dont la Turquie, la Géorgie, l’Afghanistan, le Pakistan, l’Inde, la Chine…
Ardavan Amir-Aslani déploie pour le lecteur le panorama de l’histoire perse jusqu’à l’invasion arabe et après celle-ci. La Perse connut un nouvel âge d’or deux siècles après cette invasion grâce à une résistance culturelle à l’arabisation. La langue persane resurgit et avec elle la production de chefs d’œuvres littéraires exemplaires. La culture perse va également irriguer la culture arabe.
Ardavan Amir-Aslani présente avec clarté la problématique entre sunnites et chiites. Les Arabes apportèrent le chiisme à l’Iran. Si les chiites, dont les soufis et les ismaéliens, sont largement minoritaires, leur importance est considérable dans le jeu politique. L’islam iranien, continuateur de la pensée persane, si profond et en perpétuel évolution, s’oppose à un sunnisme figé depuis des siècles. Nous avons une religion d’amour d’un côté, le chiisme et une religion de la loi de l’autre, le sunnisme.
Enfin, Ardavan Amir-Aslani nous intéresse à la trace zoroastrienne jusqu’à nos jours. On trouve au sein du chiisme des références zoroastriennes. Le soufisme a intégré des éléments de mystique iranienne. Le soufisme trouva sa place dans les régions où des siècles auparavant s’était installé le zoroastrisme, notamment en Bactriane et en Sogdiane. Sohrawardî (1155-1191) opéra une véritable résurrection de la sagesse zoroastrienne.
L’auteur, en nous introduisant à la beauté d’une culture que nous n’abordons le plus souvent qu’à travers le prisme de préjugés tenaces, en redonnant à la Perse et à l’Iran la place qui est la leur dans l’histoire, appelle aussi à une révision des politiques liberticides et toxiques de l’Occident envers l’Iran et, plus largement, au Moyen-Orient. C’est en prenant appui sur cet héritage culturel persan considérable qu’un nouveau modèle peut surgir, porteur d’espoirs.