Les Editions de La Tarente nous proposent une superbe édition de ce classique de la Franc-maçonnerie anglaise. Depuis la première édition de ce texte, en 1929, le rituel connut plusieurs évolutions présentées par Roger Dachez dans une longue et nécessaire introduction. Cette première édition en langue française bénéficie de la traduction excellente, malgré les difficultés de Marie-Françoise Burdin et Michel Piquet.
Herbert F. Inman n’a pas voulu faire un essai théorico-critique sur Emulation mais un ouvrage pratique destiné aux Frères qui mettent en œuvre ce rite singulier. Pour chaque fonction, il donne avec concision et précision nombre de points qui répondent à un questionnement né de la pratique du rituel.
Outre l’intérêt historique, cet ouvrage présente donc un intérêt très concret pour la mise en œuvre du « Style Emulation ». Roger Dachez revient à plusieurs reprises dans son introduction sur la question du « par cœur » et ses propos intéressent quelle que soit la pratique rituelle :
« D’une façon générale, dit-il au lecteur, on ne peut pas exécuter correctement un rituel qu’on découvre en le lisant au moment où l’on doit le mettre en œuvre. C’est vrai dans à peu près tous les Rites mais avec Emulation, qui accorde à la perfection gestuelle une importance majeure, c’est évidemment capital. Il n’est sans doute pas difficile de lire ce que l’on n’a pas appris par cœur mais il est alors matériellement et intellectuellement impossible de respecter en même temps la gestuelle qui accompagne les mots que l’on doit prononcer, si on ne la connaît pas déjà le mieux possible ! La conséquence est évidente : les répétitions systématiques, voire la mise en œuvre régulière d’une vraie Loge d’instruction, sont une nécessité quasiment absolue pour s’approcher de l’excellence Emulation… »
« En France, reprend-il plus loin, il y a autant qu’en France des Frères pour qui la mémoire est un vrai problème. C’est pourquoi dans toutes les loges sont institués des « souffleurs », prêts à suppléer d’un mot, d’un morceau de phrase, le rituel à la main, un Officier qui présente soudainement un trou de mémoire. (…) Il y a d’ailleurs toute une série de recommandations pour que le souffleur ne perturbe pas trop la solennité en exerçant sa fonction avec trop d’empressement ou trop d’éclat – voire un agacement trop voyant. »
Par cœur avec souffleur ou par cœur avec texte sous les yeux, en recours, la question posée et non traitée ici est celle du rapport au rituel. Sommes-nous dans une scénographie devant être la plus parfaite possible ? « Nombre d’auteurs maçonniques anglais, précise Roger Dachez, soulignent également que si la mémoire fait défaut il faut avant tout sauver le sens, fût-ce au prix de modifier un peu le texte et d’improviser légèrement ». Où réside l’opérativité ? Dans la juste restitution du texte ou dans le rappel de soi que permet le « par cœur », le cœur évoquant aussi le centre, l’axe ? Si le débat existe en Grande Bretagne, il est peu présent dans la Franc-maçonnerie française en général or cette question essentielle évoque la fonction sacrée du théâtre, art hautement initiatique dans l’Antiquité grecque comme indienne.
Ce livre comblera les amoureux de la Franc-maçonnerie anglaise et ne manquera pas d’enrichir tout Franc-maçon quel qu’il soit, pourvu qu’il souhaite approfondir la fonction du rituel.