Nous savons toute l'importance de Grasset d'Orcet pour l'hermétisme et la tradition rabelaisienne, mais bien peu savent nous conduire dans les arcanes et les langues que maîtrisait si bien le Maître. Il convient donc de saluer comme il se doit le travail remarquable de Limousin Espalier juin 1997 qui nous guide sur les chemins secrets du langage.
Nous avons largement oublié, en notre siècle qui se veut expert en communication, l'usage de la polysémie de l'écriture et des langages crépusculaires fait tant par les alchimistes que par les sociétés de métier. Le codage, ou cryptage, servit tant à voiler et transmettre les arcanes qu'à diffuser des idées révolutionnaires, libertaires ou simplement subversives, voire libertines, également soumises à la censure politique ou religieuse.
Les formes de codage sont nombreuses, mais Grasset d'Orcet en découvrit une clef, simple et universelle. Limousin Espalier nous fait remarquer que ce codage fut largement utilisé dans les textes de la franc-maçonnerie moderne du XVIIIe siècle. Mais quelle est la nature et l'histoire de ce code ?
"Le royaume de mercerie pourrait avoir joué un rôle éminent dans la généralisation de ce code. Ainsi des merciers ruinés et en rupture de ban le communiquèrent aux Gueux, au XVIe siècle, en reconnaissance d'aides reçues.
Ce code fondé sur la charade, le rébus, et le phonème, est aussi ancien que l'écriture, c'est le mode conventionnel des hiéroglyphes égyptiens ou sumériens. Grasset d'Orcet en suit la trace de l'art grec et chypriote jusqu'aux productions des sociétés d'Ancien Régime. Grasset affirme que ce codage, fut, à l'époque médiévale, le secret des clercs vagants ou Gouliards et il démontre ce code dans l'héraldique, l'oeuvre de Rabelais, les diverses éditions du Songe de Poliphile, les libelles et dessins satiriques, les livrées et coiffures- et même dans des bizutages et gravures de son temps."
Limousin Espalier a choisi de présenter son travail en un volume unique rassemblant deux tomes. Le premier tome explicite l'oeuvre de Grasset d'Orcet et met en évidence la clef utilisée. Le deuxième tome est une application du procédé à des sources différentes. Le résultat est très convaincant. L'auteur reste parfaitement lucide et déterminé :
"J'ai compilé des éléments de cryptographie profane relevés par Grasset d'Orcet dans le monde antique et chrétien primitif et dans la société médiévale ou d'avant 1789. J'ai répertorié ses propositions de déchiffrement selon le blason ou grimoire d'armes féodales, de rébus populaires ou plus littéraires. Dans tous les cas, j'ai essayé de vérifier par recoupements les prémisses de Grasset et les rares références qu'il donne. Il est très souvent la seule source. C'est ce que les spécialistes de critique historique opposeront à son témoignage. La question se pose donc : doit-on faire taire le dernier témoin ou bien peut-il être appelé devant la postérité ? J'ai tranché ici délibérément en faveur de la seconde option.
Grasset d'Orcet n'est pas infaillible, et sa documentation est celle de son temps, mais l'important, c'est la méthode proposée, une heuristique véritable et féconde. Aussi, en dépit de mon manque de qualification, mais en raison du désintérêt des plus compétents, je veux montrer la fécondité de cette heuristique et je m'applique diligemment à l'étude des textes, gravures, rituels ou symboles abondamment divulgués dans des ouvrages désormais classiques, ou cachés sur des supports moins évidents."
Limousin Espalier juin 1997 nous introduit donc magnifiquement au noble savoir pour servir l'Art Royal. Ce livre érudit, aux multiples références traditionnelles et culturelles, curieusement introduit par l'ancien grand-maître du Grand-Orient de France, Philippe Guglielmi, est indispensable à qui veut parcourir les brisées, non seulement de Grasset d'Orcet, mais celles de Rabelais, de Cervantès, de Dante et des véritables Fils d'Hermès.
Pour conclure, voici un extrait de la première page du livre :
"VINGT-DEUX !
Cette expression d'avertissement ou d'aLaRMe est bien connue. Ce vingt-deux s'entend aussi bien vingt dieux, vains dieux, vainc Dieu, vint Dieu, vend Dieu, vent Dieu, venteux- et témoigne de la richesse imaginative de l'homme pour transmettre des messages à mots couverts. Une explication est qu'au XIXe siècle, les fonctionnaires de police utilisaient un code chiffré où a = 1, b = 2,- pour communiquer. L'inspection d'un supérieur était signalée par :
22 = 3 + 8 + 5 + 6
C H E F
La multiplicité des interprétations possibles d'un même discours n'est pas vraiment un souci contemporain. La culture occidentale classique suppose cette polysémie. L'idée de sens pluriels était bien admise, ainsi, Adolphe Tiers, qui fut historien, aurait dit :
"Que l'on me donne le sens des mots et je referai l'histoire du monde."
Editeur: Éditions Désiris, F-04340 Méolans-Revel.