Ecosophie, le nouvel hymne à la vie de la société postmoderne
"Rien n’arrête une idée dont le temps est venu : le progrès" - c’est en ces termes que Victor Hugo concluait l’Exposition Universelle de 1877. Eloge de la domination du monde par la rationalité, vitrine des technologies occidentales, l’Exposition Universelle était un véritable rituel instaurant un mythe : celui de la modernité triomphante. A l’aube de ce XXIème siècle (dont Malraux disait qu’il serait spirituel ou ne serait pas), ne pouvons-nous pas affirmer que si rien ne peut empêcher une idée de naître, rien non plus ne saurait l’empêcher de s’éteindre, et de céder le passage aux nouvelles idées qui viennent ?
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C’est en tout cas ce qu’observe Michel Maffesoli, ancien élève de Gilbert Durand, professeur à l’Université Paris-Descartes et auteur (entre autres), d’Homo Eroticus (2012, CNRS Editions) et de Matrimonium, petit traité d’écosophie (2010, CNRS Editions), ouvrages dans lesquels il évoque le retour des affects et de l’imaginaire dans la société post-moderne, ainsi que l’écosophie ("sagesse de la maison") – par distanciation avec l’écologie, qu’il juge trop politisée et parfois extrémiste.
Contrairement à ce que pourrait affirmer une critique un peu hâtive, il ne s’agit pas ici d’être dans une réaction primaire au progrès, en lui opposant la régression, ainsi que le voudrait l’adage selon lequel non progredi regredi est, mais de proposer une voie médiane, pour laquelle la langue française possède certes un mot, mais peu usité (sinon par Elisée Reclus, ou encore par les astrologues) : l’ingrès. Ni un projet, ni un retour en arrière, mais une entrée dans l’ici et maintenant, un accompagnement de ce qui est, sans peur et sans reproche en quelque sorte.
En somme, Michel Maffesoli s’éloigne de la prépondérance selon lui exagérément accordée à une pensée masculine, verticale, où seul aurait du sens (et de la valeur) le projectif et l’utilitaire, pour faire place à des valeurs plus féminines, horizontales, au simple plaisir du vivre ensemble dans le présent – ce qu’il nomme, après Merleau-Ponty, "l’invagination du sens".
Ce retour au royaume des Mères de Goethe, signe-t-il la fin des mythes de Faust ou de Prométhée, voire du monothéisme ? Maffesoli répond par l’affirmative : les nouvelles tendances qu’il observe dans le monde relèvent à son sens non d’un concept d’unité qui s’exprimerait finalement de façon dictatoriale (l’idéologie "surplombante"), concept augustinien qu’on retrouve chez un positiviste comme Auguste Comte, avec sa reductio ad unum, mais témoignent au contraire d’une approche conjonctive, exprimant simultanément les contraires. C’est ainsi qu’il évoque un "enracinement dynamique", une "transcendance immanente", un "matérialisme spirituel"…oxymores portés par l’archétype androgyne de Dionysos.
Loin des clivages traditionnels (cf. à titre d’exemple le Parti Pirate International créé en 2006), tant politiques que philosophiques, il voit émerger un nouveau paradigme, non fondé sur la séparation, et un relativisme des vérités, plus tolérant car ouvert au multiple. De quoi faire naître un nouveau rapport au monde et à la Terre, plus respectueux, plus communautaire, plus proche de la nature et de notre animalité, tourné vers ce que Corbin nommait "l’Orient mythique".
Si, comme l’a dit Walter Benjamin, "chaque époque rêve de la suivante", pourquoi ne pas contribuer à imaginer le monde à venir ? Pour cela, suivez Michel Maffesoli dans cet entretien passionnant de 40 mn animé par la journaliste et écrivain Florence Quentin.