Le Cantique des Cantiques ou la survivance d'un texte érotique (1)
Chaque année, il se publie de nombreux livres sur le Cantique des Cantiques. Qu’y a-t-il dans ce texte qui continue de nous inspirer au bout de deux mille ans, et surtout, comment a-t-il pu intégrer le canon biblique, en dépit de son contenu manifestement érotique ? Rabbi Akiva en fut le premier avocat, le qualifiant de "Saint des Saints", puis Origène pour les chrétiens et enfin Calvin pour les protestants.
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Cela n’alla pas pourtant sans controverses passionnées – ni sans le détour d’une lecture allégorique, l’évidant au final de sa dimension charnelle et subversive... C’est donc à un retour aux sources que nous convie Frank Lalou. Pour cela, il se replace tout d’abord dans le contexte du judaïsme en général, et de la kabbale en particulier. Ainsi, s’il est assez connu qu’on ne peut être rabbin que si on est mari et père, on sait moins que selon le droit rabbinique, une femme peut demander le divorce si son époux ne la satisfait pas sexuellement.
Le rapport au féminin, au corps et à la sexualité n’est donc pas tout à fait le même que dans la tradition chrétienne, bien plus marquée par le rejet à cet égard.Mais le rapport au divin diffère également, en ce sens que Dieu apparaît sous deux noms, le nom de justice (Elohim), et le Nom Ineffable ou tétragramme (YHWH, vocalisé Adonaï). Deux noms qu’il est d’ailleurs assez fréquent de voir accolés : Adonaï Elohim. Frank Lalou voit dans ces deux noms respectivement les facettes masculine et féminine de Dieu, qui se manifestent donc à nous ici de façon bisexuée. L’être humain étant créé "à l’image et à la ressemblance de Dieu", l’interaction subtile du féminin et du masculin est donc présente en chacun de ces deux versants, avant de se trouvée sublimée par la relation. Nous voici déjà assez loin du sexe des anges et des purs esprits…
Mais il faut, à l’instar des quatre sages qui entrèrent dans le Pardès (dont seul Rabbi Akiva sortit vivant), entrer dans la kabbale et par-là, littéralement, dans le vif du sujet. Ses mystères en effet dépassent le cadre de la simple religion institutionnelle, car ici l’érotisme reprend toute sa dimension mystique, associant le charnel au spirituel, l’humain au cosmique. C’est ainsi qu’il convient de comprendre que Rabbi Akiva est "entré dans la chambre nuptiale" et que le Cantique des Cantiques symbolise une sublimation du rapport à l’altérité.
Conformément à la tradition juive, ce sont les mots et leurs lettres qui nous serviront de passeurs – passer étant du reste l’un des sens du mot "hébreu", l’autre étant "transgresser". De fait, les transgressions abondent dans le Cantique des cantiques, où les amants n’ont de cesse de se livrer à moult jeux sexuels "interdits" . Dans un mouvement de va-et-vient aussi explicite que symbolique, ils illustrent le double effort de la pensée juive : effort de discernement, de séparation, suivi d’un effort de synthèse, de transcendance du dualisme.
Etes-vous de ceux qui "aiment la paix et la poursuivent" ? Voulez-vous savoir comment Salomon n’a trouvé cette paix que par la présence de Shulamit ? Alors suivez Frank Lalou dans cette introduction de 48 mn, premier volet d’une série de trois entretiens, mené par Michel Cazenave, sur le Cantique des Cantiques filmé depuis le Forum 104.