Art décadentiste, art dégénéré : la polémique Nordau, Lombroso.
Un artiste doit-il taire ses émotions, brider sa subjectivité et étouffer toute irrationalité ? Nous sommes à la fin du XIXème siècle. L’exode rural, la sécularisation et l’industrialisation filent telle une locomotive à grande vitesse. Fièrement assise sur ses rails d’acier, son sifflet retentit dans nos campagnes et rivalise avec le tocsin des églises... Une période que l’on nomme « fin de siècle » et qui donna son nom à un courant artistique, proche du décadentisme.
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Deux conceptions du monde s’entrechoquent alors. L’une, optimiste, se réjouissant de ces avancées techniques et de ce vent de liberté ; l’autre, pessimiste et conservatrice, voyant dans chacune de ces innovations le sceau de l’infamie et de la décadence…
Max Nordau et Cesare Lambroso : deux médecins, juifs, conservateurs, qui ont largement théorisé sur la décadence, et développé l’idée d’un « art dégénéré ». Théorie que les nazis¹ reprendront, ensuite, à leur compte.
S’il est un artiste français qui s’est trouvé dans la fâcheuse position de « l’arroseur arrosé² », c’est bien Joséphin Péladan (1858-1918).
En effet, lui, qui s’est fait le critique de la « Décadence latine » à travers de nombreux ouvrages, à partir de 1886, tomba dans la ligne de mire de nos deux « docteurs de la décadence ». Une expression bienveillante que Péladan emploiera pour les évoquer. Bienveillance qui ne le quittera pas, car, malgré leurs critiques acérées, il ne leur reprochera que d’être « coupable, seulement, de matérialisme aveugle »….
« Si le génie est une névrose, la bêtise est certainement une maladie »
Pour quelles raisons Joséphin Péladan représenta-t-il une cible de choix pour eux ? Quel traitement reçurent, aussi, les Ibsen, Wagner, Nietzche, Papus et Stanislas de Guaïta ?
Olivier Bosc, directeur de la Bibliothèque Nationale de l’Arsenal, nous présente ainsi ces polémiques qui questionnent, avec l'appui de l’anthropologie, de la médecine, de la psychiatrie et de la criminologie, la place de l’Art dans notre société. Et sa « mission », éventuelle.
Selon lui : « ces critiques provenant de la part de ces contemptateurs, doctes autoproclamés, attestent, par la négative et par l’absurde, que Péladan préfigurait en fait les avant-gardes artistiques… ».
Pour conclure, permettez-nous de retranscrire ces quelques mots que Guillaume Apollinaire³, écrivit à titre posthume, à la mort de Joséphin Péladan : « Ce mage de l’esthétisme, cet amant des Arts morts, ce héraut d’une décadence hypothétique, restera une figure singulière, magique et religieuse, un peu effacée, un peu ridicule, mais d’un grand attrait et d’une infinie délicatesse [qui nous quitte, ndlr] un lys d’or à la main »
Enregistrement effectué lors du Colloque « Péladan, l’art et l’avant-garde », organisé par Daniel Guéguen à la Bibliothèque nationale de l’Arsenal (Paris IVe., conservateur du « fonds Péladan »), le 25 mars 2019.
¹ cf. Paul Schultze-Naumburg « Art et race »
² célèbre cinématographe des frères Lumières, sorti à cette époque, en 1895
³ GA est considéré comme l’avant garde du courant surréaliste. Texte complet, à lire (!), sur la BNF