Nouvelles réalités virtuelles et initiation maçonnique
Cette captation a été réalisée lors d’une tenue blanche organisée par la loge « Les Amis Fidèles » au Grand Orient de France. « Initier » un individu, dans son sens étymologique, cela consiste à « le mettre en chemin ». Or dans le langage courant « être initié » cela signifie être parvenu à un degré élevé de connaissance….
D’où vient donc ce contre-sens? Internet a profondément modifié notre accès au savoir, à l’information :l’essor des blogs, le succès de Second Life ou Facebook, mais aussi celui des jeux en réseaux proposent une offre pléthorique de distraction, de communautés dont l’univers virtuel – si l’on n’en est pas toujours le héros – procurent systématiquement à l’individu-internaute le sentiment de se situer au milieu de cet univers et surtout d’en garder le contrôle.
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En effet d’un simple clic de souris ou de pression sur un bouton « Power », on pense maitriser le cours de sa destinée.
Existe-t-il donc un risque de dérive égotique, narcissique (voire schizophrénique…) à trop se servir de ces outils ? D’un point de vue psychologique ou spirituel, l’identification au Moi, la connaissance du Ca, ou la découverte du Soi sont-ils favorisés par Internet ? Dans une perspective junguienne, incarner à tour de rôle de manière plus ou moins ludique des héros mythologiques, permet-il d’accélérer le processus d’individuation ?
Jean Solis (éditeur, édition de la Hutte) et Roger Dachez (historien de la franc-maçonnerie) se sont réunis pour en débattre. Pour Roger Dachez, le facteur humain est prépondérant pour toute notion de transmission et donc de tradition. L’imperfection de l’homme, sa découverte plus ou moins chaotique de la règle maçonnique et cette « aventure humaine » que représente le parcours maçonnique passent nécessairement par des guides incarnés, et non des avatars.
En cela Roger Dachez s’érige contre les positions d’un célèbre maçon, Oswald Wirth qui déclarait au siècle dernier « on n’est pas initié, on s’initie soi-même »…. adage repris par certains groupes initiatiques qui proposent ainsi des initiations « à distance », ou en vente par correspondance.
A ses origines, les jeux de rôle se déroulaient autour d’une table. L’un des joueurs (humain) se voyait attribuer la fonction de gardien de la règle, il devenait ainsi « le maître du jeu ». Avec la révolution du réseau World Wide Web et la possibilité de jouer à plusieurs sans aucune contrainte de distance, ce gardien de la règle initialement humain s’est vu remplacé par un algorithme illimité, théoriquement infaillible (?) car binaire. Grâce à lui, l’application de la règle est stricte : c’est oui ou non. De quoi faire rêver tous les maîtres des cérémonies et premiers surveillants…
Pour Jean Solis, le développement des nouvelles technologies et son corollaire de « réalités virtuelles » (cf. nos trois tables rondes intitulées « Qu’est-ce que la réalité » autour de Basarab Nicolescu) est une extension naturelle du rite, des mythes et du parcours analytique que la franc-maçonnerie propose à ses membres non seulement de parcourir mais surtout de vivre. A l’instar de Jean-Louis Brun qualifiant la franc-maçonnerie de processus initiatique, Jean Solis pense que les mythes et figures bibliques traditionnels qui jalonnent le corpus maçonnique trouvent une certaine forme d’analogie, voire d’exaltation, dans les Role Playing Game (RPG) actuels.
En revanche, Roger Dachez nous met en garde de ne pas confondre le récit (premier niveau de lecture, qui reste souvent l’apanage du spectacle et des jeux de rôle) et le mythe qu’il faut interpréter comme « récit fondateur qui créé un sens pérenne… et non la misérable chronologie du temps qui passe et qui mène à nous ».
Où est la place du sacré, des mystères, dans ces « réalités virtuelles ? » Pensez-vous comme Bergson que « plaquer du mécanique sur du vivant » est la source de la comédie et donc par extrapolation que l’Internet est une comédie humano-virtuelle du XXIème siècle ?
Réponse de nos deux auteurs dans cette table ronde de 67 minutes animée par Bernard Cohen-Hadad.